LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 42
Mars 1977 - La nuit où Elle M et son chevalier servant passent d’un monde à l’autre au milieu des grandes dunes du Sahara
Elle M, appelons là M, n’est plus la même, elle a passé une journée fiévreuse autour de la salle d’attente de la gare routière d’Alger, à deux pas du port autonome et de la noria des ferries et des navires marchands qui vont et viennent d’un peu partout dans la Méditerranée. Quant à celui que j’étais alors, exalté, les yeux et les oreilles grandes ouvertes, il éponge tout ce qu’il voit, va et vient, se lie de bouche avec les préposés, passe voir si M. va mieux, si elle a besoin de quelque chose.
Quand la nuit se met à tomber, tôt dès qu’on descend vers le sud, je l’aide à prendre nos bagages et nous nous dirigeons vers le port d’embarquement routier où son alignés une douzaine d’autocars bleu clair, dont celui qui va nous conduire chez Christiane à El Oued, le chef-lieu du Souf des Oasis, dépendante de Biskra, la ville rivale.
LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 41Février 1977 – Besac... De chez la Denise aux mille coupoles en passant par Carthage et le Djurdjura : feu vert pour la traversée des Mariemontagnes...
"J’avais pris les choses en main. Fini Barfly et les Contes de la Folie ordinaire, ce n’est pas notre santé mentale qu’Elle M. et moi mettions en péril, mais notre avenir ensemble. Nous en avions des exemples sous les yeux ; passé la chance d’obtenir un diplôme et de gagner sa vie convenablement, les étudiants émoulus de chez papa-maman faisaient de tristes fins, se faisaient entretenir, se terraient sous les toits et, alcoolisés et camés, terminaient dans le caniveau, pour ne pas dire en hôpital psychiatrique ou au fond du Doubs. LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 40BESAC 1976 : Le syndrome d’Aznavour : Les Parois de la vie sont lisses et je glisse 'Il m’a fallu faire un gros effort de mémoire pour me rappeler ce que le Morisi que j’étais fait après avoir été déclaré Psy-4 et exempté de service militaire actif. La réalité d’alors c’est que j’avais gâché mon principal talent, celui de me distinguer sur un terrain de football, et que j’avais perdu le fil de mes études en partant faire le Jacques en Angleterre en Scandinavie. Par bonheur j’entrevois un fil de lumière tout au bout de ce couloir médiocre : les journées entières passées rue Pasteur à échanger des généralités contre un demi pression ou à attendre que passe un gars de ma bande et qu’il m’invite à déjeuner, à souper ou à assister à un concert de rock dans un bar. Le fric a dû être un problème mais j'ai tout oublié de la manière dont je m’en procurais à l’époque : des cours privés, des petits jobs, un coup de main dans un bar, de l’argent emprunté à mes parents (il était beau le Marco Polo on the road !), à ma tante ou aux amis que j’avais dépannés du temps de ma gloire... Celui qui ne gagne pas assez pour vivre devient une boulet et un parasite... LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 39Helsinki 76 ou quand le roadmovie rabelaisien tourne en eau de boudin glacé et que les héros manquent faire une triste fin avant d’être sauvés par un ballon qui rebondit. Les spécialistes de la vie quotidienne de Cosa Nostra vous le diront, la routine des soldats de la mafia est un enfer d’attente et d’ennui où les tueurs à gage et les nettoyeurs tuent le temps un clope au bec dans la rue pour dépister les mouchards placés sous le billard par le FBI ou la police d’Etat. Il en est de même pour les Don Mario et les Sancho Barbe lorsqu’ils quittent un refuge pour prendre la route le pouce tendu. Lorsqu’ils crapahutent sur les rebords glacés de la route qui mène à la capitale. Lorsqu’ils attendent un quart d’heure avant de voir passer un véhicule Un soir, ça tourne mal. Ils se sont éloignés d’une ville pétrifiée dans la bourrasque sans croiser un chrétien : il fait froid, très froid et Barbe ne se sent pas bien. Je l’encourage, le stimule, l’engueule, le réconforte. On va bien tomber sur un village, sur une maison. Sur une âme charitable.LES CHRONQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 38Janvier-Mars 1976 – onze semaines de folie finnoise ou quand Barbe et Morisi défient la fatigue, le froid, la faim et le bon sens, sous le regard incrédule de Finnoises et de Finnois médusés... (1) Figurez-vous une caméra installée sur une mäki (colline) entre Pori, un port de la côte occidentale de la Baltique, et Hämeenlinna, une ville marchande située sur la route de la capitale Helsinki. Tout au bout de la focale, deux points à peine mobiles englués dans la neige et dans le vent polaire. Tout autour, survolés par un drone, quelques-uns des 100 000 lacs que compte le pays, une infinité boisée, tout un monde de créatures peu fréquentables mais invisibles pour l’instant. La nuit précédente, la traversée de la Baltique a été impressionnante, c’est en brisant la glace que le ferry emprunté par Barbe et Morisi est parvenu à Turku : capitale finlandaise du temps des Suédois, cité épiscopale et université de renom. Passé l’enthousiasme de poser le pied sur une terra incognita, les deux insensés que nous sommes montons dans un train, l’idée étant de gagner Pori où j’ai fait la connaissance de gourgandines lors de mes voyages précédents, mais surtout Hameenlinna, où j’ai séjourné avec Hans et avec Roger. Emmitouflés dans nos nippes, un bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, nous ne sommes pas équipés pour une partie de trekking dans le grand nord. LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 371975-76 – ‘Éthylisme compulsif avec appoints toxicomanogènes’ : Morisi Mario ne sautera pas sur Kolwezi et cela passe par Heathrow Airport, Paris 14e, Oslo, Stockholm, Turku et Helsinki... (1) C’est la chemise où j’ai conservé mes premiers écrits qui me rappelle ce que j’ai vécu entre mon retour d’Angleterre et ma future traversée des Mariemontagnes. À l’époque, entre le deux-pièces de la rue Mégevand à Besançon (malédiction d’Alexandra, la propriétaire s’appelait Reine), la rue Gamma et la Cure, j’avais pris l’habitude de m’asseoir à l’écart dans un bar discret ou sur un banc et de griffonner des idées ou des intuitions, sans doute pour me donner des allures d’artistes, pour ne pas passer pour un de ces étudiants à la dérive arrivés de chez Papa Maman mais incapables de passer leur diplôme. La disparité, le caractère hétéroclite de ces supports (des carnets de notes quadrillés, des agendas, des cahiers de format A-4, des feuilles volantes...) documente à quel point ma vie était décousue mais où voulais-je aller bon dieu ? Sur les traces du Mister Jones de Robert Zimmermann? "Something is happening here but I don't know what it is"? Un midi Madame Max, joyeuse comme un pinçon, me dit : "Mario, votre maman a téléphoné, l’aéroport de Londres a appelé, la dame a dit que c’était bonpour votre travail d’interprète..." Pour un coup de théâtre, c’était un coup de théâtre, je me rappelais avoir répondu à une annonce parue dans Le Monde. Heathrow cherchait des stewards polyglottes anglais, allemand et français a minima. Ma double nationalité franco-italienne et ma maîtrise de l’anglais parlé et écrit pouvaient faire la différence, de là à décrocher le pompon... C’était tiré par les cheveux mais inespéré, il fallait que je gagne ma vie. Pour le reste je me fierai à ma bonne étoile. Bien sûr ça me contrariait un peu, A ce moment-là il y avait Elle M, le capitaine aux yeux bleus que je voyais chez Max, quelque fois au restau U. La suite est abracadabrante. |