LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 59
1982 – RENNES C'EST FINI ; LE RETOUR DANS LA BOUCLE ; LA DERNIÈRE ANNÉE DE GAUCHE EN FRANCE ; L'ITALIE CHAMPIONNE DU MONDE ET CE SÉJOUR À MONTPELLIER, OÙ L'ANCIENNE AIMÉE, ENCEINTE DE SIX MOIS, CRÈVE LA FAIM ET TOMBE SOUS LA COUPE D'UN OBSTÉTRICIEN MISOGYNE QUI L'EXPÉDIE DANS UN NID DE COUCOU ; CE QUE MORISI EN PENSE ET CE QU'IL EN ÉCRIT...
Ça y est, c'est bon, j'ai mon diplôme d'aptitude à la direction de MJC. Mieux, les stagiaires de Rennes, de Paris et de Reims étant des adeptes du travailler au pays, ils ne postulent pas à la MJC de Palente à Besançon, qui – merveilleux ! – me tombe toute crue dans le bec.
Vous vous rendez compte, la MJ de Palente, celle où ont eu lieu une partie des négociations des Lip dix ans plus tôt, le quartier des "Paroissiens", du CCPPO, des Castor, le fonds de caisse électoral de la gauche socialiste qui l'était encore.
Car on aura beau dire après, à nous les 39 heures, la cinquième semaine de congé payé, l'augmentation des minima sociaux, l'abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l'homosexualité, le prix unique du livre et j'en passe...
Mon entrée en fonction aura lieu fin août. Je fais un tour pour me présenter à l'ancien directeur, un pragmatique cynique et carriériste qui me donne des conseils que je ne suivrai pas, comme virer l'éducateur de quartier et mettre la pédale douce avec le C.A., qu'il faut savoir ménager, quitte à n'en faire qu'à sa tête : c'est nous les professionnels, tu vois.?
Je suis passé à Sampans rassurer mes parents, ma mère m'embrasse, me serre fort en répétant "Mon fils", les larmes aux yeux. Peppone joue les Peppone : combien tu vas gagner ? c'est à durée indéterminée ?
LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 581981 – L'ANNÉE DE TOUS LES CHAMBARDEMENTS, DE RENNES À NANTES, OU QUAND LE DIRECTEUR DE MJ STAGIAIRE NOIE SON MAL-ÊTRE DE PLUSIEURS FAÇONS, DONT SAINT-HERBLAIN, LA COPINE DU PROF DE TAI CHI, L'HOMME BRUIT, NATHALIE ET MADAME LA FATIGUE... Raconter ses peines de cœur est un pensum pour les autres, elles sont toutes du même acabit ou alors il faut en faire un roman ou un film. L'ancien capitaine était avec un autre, soit, je ne l'avais pas volé, restait à vivre, et dans le cas du Morisi de l'ère Mitterrand, de valider une année de formation professionnelle dans l'animation culturelle et sociale. Chacun des stagiaires inscrit en formation professionnelle qualifiante devait trouver un lieu de stage. Yves L, s'en alla à Quimper, Michel J, à Rezé, de l'autre côté de Nantes, Loire-Atlantique, alors que j'avais convaincu Michèle, la directrice de la MJ de Saint-Herblain de m'accueillir pendant un gros trimestre. J'aime Toulouse et j'exècre Bordeaux, j'adore Besançon je méprise Dijon, j'ai eu de la tendresse pour Rennes, pas pour Nantes, ce gros port prétentieux à l'architecture pompeuse, la ville qui, avec Bordeaux, s'est gavée du bois d'ébène et de la douleur des Noirs. Pour ne pas parler des prétentions anglaises et de ces vins formidables pour riches. Un lundi matin, alors que Marie doit traîner avec son copain et leur mouche du coche, je prends le train à la gare de Rennes et je file à Nantes. En face de moi se trouve une belle dame, la quarantaine, de l'élégance, de la lenteur, un regard perdu. Elle m'intrigue c'est une héroïne de roman. Je me risque à la questionner, elle sort de prison, elle a été condamnée pour détournement de fonds. Elle ne sait pas où elle va, quelque part dans sa famille. Il se passe quelque chose entre nous, elle manque descendre avec moi. Ça se serait pu mais j'avais rendez-vous. La MJC de Saint-Herblain est une institution locale, une maison qui marche fort : un grand nombre d'adhérents, pas mal des vacataires, toutes sortes d'activités. Je me présente, mon CV et tout, l'accueil est chaleureux, la gauche vient de gagner, tout est beau tout est joli.LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 57AOÛT 1981 -JUILLET 1982 – L'ANNÉE RENNAISE ENTRE RETOUR À L'ÉCOLE ET NEUVAINES, DÉBUT DE LA FIN ET LES MARIEMONTAGNES... R Rennes est une ville comme je les aime ; une rivière, des ruelles historiques, une population mélangée et d'innombrables bistrots, une cité cousine de Toulouse et de Besac que je place hors-catégorie dans mon palmarès. S'installer pour neuf mois demande de l'organisation, je quitte Marie, monte à Paris, prend le TGV et me retrouve chez les Bretons fin août. L'idée est de trouver un studio avant la rentrée des étudiants. J'y parviens facilement, un petit nid douillet en plein quartier historique, avec colombages et tout, pas loin du Parlement de Bretagne. J'explore illico les lieux et je tombe sous le charme, la rue Saint-Michel, la rue Saint-Malo plus au nord, dite la rue de la Soif. On est convenus avec Yves de se retrouver sur place une semaine avant le début du stage. Je ne me rappelle plus comment, mais on est pris en main par un couple de Bretons de ses connaissances, bien serviables mais terriblement bretonnants, tout au cidre et au gros-plant, impossible de siroter un rosé de Provence ou un valpolicella. Pis y z’adorent Tri Yann et les bd, impossible de s'éloigner de leur zone de confort, Nous serions quinze en formation sur le campus de l'université, venus de Saint-Omer, de Normandie, de Savoie, de Valence, d'Arles, de Marseille et de la région parisienne, pour la plupart des gens issus de la galaxie MJC, en tout cas du monde de l'éducation populaire. Comme ce fut souvent le cas, je suis l'OVNI de la bande. J’ai un diplôme universitaire et je pourrais donner une partie des cours en socio, philo, psycho-socio. LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 56Juin 1981 ou Comment Morisi remplit une lettre de motivation qui va le lancer dans une nouvelle carrière, la direction de MJC, pendant que Marie se pose beaucoup de questions... Tout est venu de Daniel H, l'homme qui me fit connaître le théâtre, me transforma en metteur en scène intérimaire, me fit rencontrer Catherine Sauvage et le Grand Magic Circus, avant de m'initier aux nuits blanches qu'il fallait conclure par le fameux "M. Richard, un dernier pour la route", au Fouquet's rue des Granges chez José. "Mario, que penserais-tu de devenir directeur de MJ, tu en as le profil, le caractère et toutes les qualités, si je l'ai fait moi, rien ne t'empêche d'essayer. Les sélections ont lieu à la fin du mois. Tu veux que je m'en occupe ?" C'est aussi simple que ça, ma fameuse théorie des ombilics, ces liens nourriciers qui fonctionnent comme des dominos : ombilic de la balle, ombilic des Beatles, ombilic de la Botte, des Livres, du Nord, du Maghreb ; du Peuple en l'occurrence. Du peuple puisque la fédération française des Maisons de jeunes et de la culture, fédération d'obédience communiste, militait dans le secteur de l'éducation populaire, en concurrence avec Léo Lagrange et les JOC, pour éviter que la jeunesse nationale ne retombe dans le giron fasciste comme ce fut le cas pour les jeunesses hitlérienne, les Balilla de Mussolini et sous Pétain. Le premier pas, je le fais à Dijon où je me fends, dans les conditions d'un examen, d'un texte de motivation. Soyons honnête, c'est un exercice de style, avant que Daniel ne me briefe, je ne savais rien du mouvement des MJC. Mais comme il m'en a convaincu, je suis fils d'ouvriers, né dans une banlieue pauvre, formé par l'école gratuite et obligatoire, diplômé, avec une expérience de prof, une connaissance des populations maghrébines, détenteur d'un DEES : qui plus que moi serait fait pour l'animation globale et l'éducation populaire ? Lorsque je reçois un courrier de la FFMJC m'annonçant que je suis sélectionné parmi les 150 impétrants qui devront en découdre dans une MJC de Mons-en-Barœul,LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 55SEPTEMBRE 1980-JUILLET 1981 – COMMENT LAWRENCE MARIO D'ARABIE DEVIENT ÉDUCATEUR STAGIAIRE, C'EST-À-DIRE GARDE-CHIOURME SOFT, CONSEILLER EN TEST DE RORSCHACH, CHEF DE BANDE À VÉLO ET RÉALISATEUR DE WESTERN EN SUPER 8 – LA MANIÈRE DONT IL PASSE LE DEES FOOT DU PREMIER DEGRÉ EN COMPAGNIE DES VEDETTES DU FC SOCHAUX – ALORS QUE L'HORIZON S'ÉCLAIRCIT SOUS LA FORME D'UN CONCOURS NATIONAL VISANT AU RECRUTEMENT DE DIRECTEURS DE MJC. - ET QUE LE 10 MAI 1981 POINTE SON MUSEAU AMBIGU. L'arrivée devant le portail du château des Chennevières, qui a été converti en Centre éducatif professionnel (si l'on veut), est trompeuse. La propriété est si élégante, si agreste, qu'on y verrait plus volontiers un hôtel de charme. Pas pour les 45 gamins venus de Ménilmontant, de Belleville et d'un peu partout en Franche-Comté, prédélinquants et inadaptés sociaux divers qui, chaque fois que nous revenions au bercail après une sortie de vélo, d'équitation ou de kayak, faisait le geste "d'astiquer leur boulet" pour nous rappeler qu'ils se sentaient en captivité. Le Morisi nouveau s'était vu confier la coresponsabilité des "grands" avec Christian Ch., un jeune champion de kayak en eaux vives et une éducatrice diplômée qui était barbante comme la pluie et qui semblait tout savoir sur la manière de faire croire aux gosses que leur avenir professionnel était en jeu, alors que la plupart des profs du technique étaient de gros ratés du privé et des planqués de première. C'est à Véreux que j'ai compris ce que les pionniers de l'antipsychiatrie et de la déconstruction entendaient par marché de l'insertion, un secteur de l'économie où 45 gosses en péril (pas toujours évident) justifiaient la paie de 50 adultes bien-pensants : la lingère qui faisait des allusions scabreuses sur l'état des slips, le surveillant-chef qui jouait les bègues avec un bègue qu'on essayait de rassurer, le prof de maçonnerie qui enseignait l'escalier en colimaçon avant de demander, le pignon ayant été achevé, de le dévaster à coups de masse et de marteau.Mort à la Mère
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