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L'essentiel de mon travail, des centaines et des centaines de pages, est pour le moment impubliable. Dès la naissance de mon désir d'écrire, j'ai conçu le rêve de produire un unique livre composé de tous mes mots. Pris dans la réalité des genres, des modes de pensée de mon vivant, je n'en ai pour l'instant publié que des parcelles. C'est ici, ayant atteint 64 ans, que je vais donner à lire les fruits les plus bizarres de cette discipline de tous les jours. Un bric-à-brac expérimental, une médina cérébrale, sorte de Bon Marché, d'Hyper et d'épicerie de campagne jusque-là prisonniers de mes tiroirs...

— L'incipit de "L'homme éclaté", alias les Treize Premiers Articles du "Multiple Indéchiffrable" commencé en 1976 à Besançon.

I. { L'HACHE }

— 1. D'un côté un homme qui s'éclate. De l'autre l'homme éclaté. Une question de moment ? Non. Celui qui s'éclate et celui qui est éclaté n'appartiennent pas à la même série. Ils ne sont pas du même côté de l'unité. L'homme qui s'éclate lutte intuitivement, physiquement contre la cohésion qu'on lui a imposé. Il est concentré, il est dans un camp, il travaille, il est responsable, un parmi les autres, puis il décide de prendre vacance, il se désintègre. Il boit, il mange, il rit, il fait l'amour et quand il s'est bien éclaté, il ramasse sa gueule de bois et ses morceaux et il se reconstitue, homogène et utilisable à nouveau, animal de retour sur le marché.

— 2. L'homme éclaté est (une) autre chose. Il est le fruit accidentel d'une série de causes et de conséquences, le produit hétérogène d'éclatements successifs, et en chaîne. L'homme éclaté est un paysage idéologique. En coupe, torsadé, l'on trouverait plusieurs programmations dont la dendrochronographie est impossible à établir. Pour prendre un exemple graphique tiré des logiciels de P.A.O., l'homme éclaté est un document Photoshop dont les calques mal fondus se découpent les uns sur les autres. De l'extérieur, l'homme éclaté (pour faire court employons "l'H.é") donne l'impression d'un patchwork inachevé et sans patron. Le rapport entre les matières qui le constituent est aléatoire, asymétrique, sans dessein. De l'intérieur, en soi, "l'H.é" se vit (au contraire) comme une (effrayante) grotte aux merveilles. Une termitière aux infirmités d'Ali Baba. L'H.é n'est pas coté à Wall Street.

— 3. Si "l'H.é" (pour faire plus pratique écrivons l'Haché) devait écrire ses mémoires il comprendrait médiatement que la feuille blanche n'est pas le réceptacle adéquat. Tout s'oppose à ce que l'Haché signe un article, un essai, une nouvelle, un roman de son nom. Son nom lui-même, fondé par le fatras de ses identités, est une imposture. Rien ne va plus entre l'écriture que le signe et le concept d'écriture. Ecrire, inscrire, c'est subir la tyrannie du temps qui coule en même temps que l'encre du stylo ou les pixels du screen, peu importe le délai. Ecrire c'est s'astreindre à rétrécir (monstrueusement) la tête de ses enfants et les immensités (paradoxales) de son âme. L'Haché n'écrit pas, il dicte. L'hétéronyme est son nombre, le palimpseste sa matrice.

— 4. La double spirale est (peut-être) le symbole et le blason de l'Haché... Une double spirale multipliée et divisée en une infinité de figures géométriques aux structures "abyssinales", de ce pays d'Afrique où la superficie est si dense qu'elle est noire et les gouffres en fractales. Henri Michaux en savait quelque chose.

— 5. L'idée (même) de plan est coupable. Le plan, comme la ligne ou le point sont la pire des fictions, la talon aiguille de la bêtise qui s'enfonce dans l'infiniment complexe comme dans du beurre fondu. Le plan est une idée mortifère. Comme a-t-on pu passer de cette platitude idéale à l'échafaudage de la domination des uns par les autres ? Qui a tiré le plan (de son plan) pour dresser les comètes de Babel, la tour Eiffel ou les Twin Towers ? Hegel et le Vatican ?

— 6. Si l'Haché abhorre l'idée de plan, il y a de bonnes raisons (d'ordinaire il préfère les mauvaises). Il se figure avec horreur ce qu'un plan s'appliquant à lui pourrait infliger comme nuisance. Il s'imagine des files de visiteurs, leur plan à la main, en train de le visiter : historiens, psychologues, badauds, gendarmes, experts en hypothèque, économistes, maîtresses putatives. Un nom, un seul, retentit dans l'Haché : Marcinelle ! " Tutti cadaveri !"

— 7. L'Haché n'a pas "de" culture. Il les a toutes alternativement. Le turfiste en lui est rigolard. Il ne perd que neuf fois sur dix. Et s'il va champ de course (à vrai dire jamais), il est fréquent qu'on y donne Otello tandis que Nietzsche récite le Bottin téléphonique au Stade de France. L'Haché est un théâtre olympique du Palladio redessiné par Braque, quand les décors sont de Potel & Chabot et le bail gracieux, une fleur signée Gog et Magog.

— 8. Quelqu'un dans l'Haché a décidé d'écrire une pièce de théâtre d'un type différent. Il a retiré quelques dizaines de milliers d'euros à la banque et les a posés sur la table d'un scénographe de ses amis. "Je veux le décor de cette pièce que je n'ai pas écrite, je m'occupe du reste." Le scénographe protesta : un décor n'existe pas sans histoire préalable. L'idée d'un décor sans pièce écrite, d'un œil sans orbite ni perspective, d'un amour sans intention de le dépenser est au cœur de l'Haché, forcément.

— 9. Il est patent — par usure de la langue, raccourci — que l'H.é du départ deviendrait l'Haché à l'usage. A condition de repousser la tentation de Lacan et tout ce qui éloignerait l'Haché du ballon, son animal tutélaire, son symbole essentiel.

— 10. Quelqu'un dans l'Haché révère et déteste la ponctuation. La ponctuation est l'ombre portée du pouvoir sur le souffle. Tout dans la ponctuation marque la, les hiérarchies et domine le poumon. Pourquoi "ponctuation" (de point) plutôt que "virgulation" ou "régulation du sens par le souffle" ? Pourquoi, en français, trois points et pas cinq, pour la suspension (Allah ! Allah ! Allah ?). Pourquoi deux cadratins et trois après, pour le point-virgule, ce bâtard ? L'Haché, quand il rêve d'écrire, travaille sur un système de signes où le hoquet, la syncope et le contre-pied, pour ne pas parler de l'évanouissement, ont leur place dans l'affirmation relative du sens.

— 11. Le dessin devrait être obligatoire. Le dessin, dont les fins sont oubliées, met en évidence toutes les subtilités du point de vue. Le dessin est la parabole du destin, de la condition humaine. Choisir un des cinq ou six coins d'un café. Commander un café ou un demi. Sortir un cahier et un stylo. Observer avec passion ce que l'on voit. Tenter de le reproduire. Lignes de fuite, perspective(s), architectonie(s), structures, jeux de l'ombre et de la lumière, mouvements diffus, angles morts, disparition soudaine du modèle, livre des transformations perpétuelles, mystère du sujet et de l'objet, impossibilité des mêmes lois de la perspective dans l'éloignement d'une courbe et le (très) proche presbyte. Discontinuité entre le tien et le mien. Doux chaos régulé par mille mises au point. Sourire. Doigt crispé.

— 12. Un ballon n'est jamais rond.

— 13. J'aime tes zébrures, disait l'Aimée à l'Haché au moment de le quitter. Cela déplut souverainement à ce qui, dans l'Haché, insistait pour qu'ils restent unis.

(A suivre)


 

Deuxième parution de l'Haché ou les Prolégomènes du Multiple-Indéchiffrable.

II. { L'ARCHITECTE }

Ailleurs, autrepart, Noé est architecte et l'Arche est sa demeure. Point de déluge, du quotidien ; point de dérive, de l'immobilier. Se pose le problème du plan (toutes les histoires se racontent au présent simultané). Le cahier des charges de Dieu est clair. A chacun revient une place. Non seulement aux hommes, aux êtres animés, mais également aux plantes et aux pierres, aux concepts et au contraire de tous les contraires, pourvu qu'ils fonctionnent par couples. Flatté d'avoir été choisi, Noé est frappé d'un vertige, en avance sur son temps (le présent d'alors devenu présent d'aujourd'hui, au moment de la lecture), un esprit lui souffle que tout système est une exception dans le système plus grand, plus perfectionné, qui l'englobe. Noé dessine les plans d'un temple de Salomon, mais la énième dimension le guette et l'incendie fait rage, celui qui règne est invisible.

2. Noé se fait un sang d'encre. Son calame intérieur va et vient sur un papyrus long comme l'éternité, et vaste comme le monde. Dieu a été bon, il fournit le matériel et la main d'œuvre. Il suffit à Noé de penser ce dont il a besoin pour que cela lui soit livré sur-le-champ, car dans cette dimension de Dieu, imaginer c'est réaliser, désirer c'est disposer. L'éléphant a besoin de fourrage, la baleine d'eau salée et de plancton, la mante d'amants, l'H2 de O : Celui qu'on ne nomme pas y pourvoie. Bien sûr, cet agglutinement, cette accumulation monstrueuse et totalitaire, cette soustraction des surfaces et des volumes, d'air et de matière complique le traçage du plan. Et cet imbécile d'homme qui ne voit pas qu'il est coincé sous un pli du papyrus, entre l'espace et le temps, cet imbécile d'homme qui croit que l'univers est à son service !2. Noé se fait un sang d'encre. Son calame intérieur va et vient sur un papyrus long comme l'éternité, et vaste comme le monde. Dieu a été bon, il fournit le matériel et la main d'œuvre. Il suffit à Noé de penser ce dont il a besoin pour que cela lui soit livré sur-le-champ, car dans cette dimension de Dieu, imaginer c'est réaliser, désirer c'est disposer. L'éléphant a besoin de fourrage, la baleine d'eau salée et de plancton, la mante d'amants, l'H2 de O : Celui qu'on ne nomme pas y pourvoie. Bien sûr, cet agglutinement, cette accumulation monstrueuse et totalitaire, cette soustraction des surfaces et des volumes, d'air et de matière complique le traçage du plan. Et cet imbécile d'homme qui ne voit pas qu'il est coincé sous un pli du papyrus, entre l'espace et le temps, cet imbécile d'homme qui croit que l'univers est à son service !

3. La première idée qui vient à Noé est deux. D'un côté il y avait le bazar chaotique, la médina des animaux et des choses, des mâles et des femelles ; de l'autre les lignes pures de l'horizon et la courbe de l'infiniment fuyant. Il décide d'en faire les deux (premiers) piliers de la Demeure absolue que Dieu exigeait de lui. Mais au moment même où il entreprend de les planter dans son esprit, un vertige s'empare de lui. Pour le combattre, il courba l'échine. La tâche était écrasante.

4. La première idée qui vient à Noé est deux. D'un côté il y avait le bazar chaotique, la médina des animaux et des choses, des mâles et des femelles ; de l'autre les lignes pures de l'horizon et la courbe de l'infiniment fuyant. Il décide d'en faire les deux (premiers) piliers de la Demeure absolue que Dieu exigeait de lui. Mais au moment même où il entreprend de les planter dans son esprit, un vertige s'empare de lui. Pour le combattre, il courba l'échine. La tâche était écrasante.4. Noé dut reconnaître qu'il manquait de compétence, il se mit à la recherche d'un dessinateur capable de synthétiser les neuf points de vue décrivant l'Arche. Le dessinateur qu'il trouva était ivre. "Je vois double" déclara celui-ci. Aussitôt les points de vue, qui était neuf à l'orgine, devinrent dix-sept : "Je parie que tu demandes ce qu'est devenu les dix-huitième", ajouta-t-il à l'intention de Noé qui perdait patience. "Où est passé le point de vue perdu ?" demanda-t-il près de lui écraser son poing sur la figure. "C'est le point de vue de l'écho, fit le dessinateur, Le dix-huitième qui permet au dix-sept de devenir dix-huit n'est pas représentable, il est l'écot du diable, ce qui outrepasse le chiffre premier, qui n'est divisible que par l'unité de dieu et lui-même."4. Noé dut reconnaître qu'il manquait de compétence, il se mit à la recherche d'un dessinateur capable de synthétiser les neuf points de vue décrivant l'Arche. Le dessinateur qu'il trouva était ivre. "Je vois double" déclara celui-ci. Aussitôt les points de vue, qui était neuf à l'orgine, devinrent dix-sept : "Je parie que tu demandes ce qu'est devenu les dix-huitième", ajouta-t-il à l'intention de Noé qui perdait patience. "Où est passé le point de vue perdu ?" demanda-t-il près de lui écraser son poing sur la figure. "C'est le point de vue de l'écho, fit le dessinateur, Le dix-huitième qui permet au dix-sept de devenir dix-huit n'est pas représentable, il est l'écot du diable, ce qui outrepasse le chiffre premier, qui n'est divisible que par l'unité de dieu et lui-même."

5. Noé passa (passe) plusieurs années en nuits blanches au point que le grand sanhédrin - un quarteron d'analphabètes au grand coeur et aveuglés par la foi - menaca (menace) de l'exclure de la communauté et de le lapider. La question qui se posait à lui, après avoir résolu le problème du plan de l'Arche, était (est) la suivante : dans chaque espèce, quel couple devait être choisi et selon quel critère ?5. Noé passa (passe) plusieurs années en nuits blanches au point que le grand sanhédrin - un quarteron d'analphabètes au grand coeur et aveuglés par la foi - menaca (menace) de l'exclure de la communauté et de le lapider. La question qui se posait à lui, après avoir résolu le problème du plan de l'Arche, était (est) la suivante : dans chaque espèce, quel couple devait être choisi et selon quel critère ?

6. Un matin que Noé et son dessinateur étaient très contents d'eux-mêmes et de l'avancement des travaux de l'Arche, un architecte se présenta qui saute à la gorge de Noé et lui dit : "De quel droit asservissez-vous la géométrie dans l'espace et l'espace lui-même ? Croyez-vous vraiment que deux points reliés entre eux constitueront pour autant une ligne droite ? Croyez-vous vraiment que vous allez contraindre les paraboles, les abscisses et les ordonnées ? Avez-vous seulement entendu parler d'Euclide, de Pythagore et de leurs frères, qui ne tarderont pas à vous couvrir de ridicule ?"6. Un matin que Noé et son dessinateur étaient très contents d'eux-mêmes et de l'avancement des travaux de l'Arche, un architecte se présenta qui saute à la gorge de Noé et lui dit : "De quel droit asservissez-vous la géométrie dans l'espace et l'espace lui-même ? Croyez-vous vraiment que deux points reliés entre eux constitueront pour autant une ligne droite ? Croyez-vous vraiment que vous allez contraindre les paraboles, les abscisses et les ordonnées ? Avez-vous seulement entendu parler d'Euclide, de Pythagore et de leurs frères, qui ne tarderont pas à vous couvrir de ridicule ?"

7. On ne sait plus rien de l'histoire. L'Arche finit par appareiller et l'architecte fut abandonné à son sort sur la berge puisqu'il ne formait pas un couple, la faute au 17/18e. Sa faute était multiple. On l'avait abandonné parce qu'il connaissait tous les détails de la construction de l'Arche. Parce qu'il était la preuve vivante que le dessein divin a besoin de matière humaine pour se réaliser.7. On ne sait plus rien de l'histoire. L'Arche finit par appareiller et l'architecte fut abandonné à son sort sur la berge puisqu'il ne formait pas un couple, la faute au 17/18e. Sa faute était multiple. On l'avait abandonné parce qu'il connaissait tous les détails de la construction de l'Arche. Parce qu'il était la preuve vivante que le dessein divin a besoin de matière humaine pour se réaliser.

8. Le temps est long quand on a été abandonné sur le sable par sa propre création et que la fin du monde est proche. Personne ne voulut croire ce vieux fou d'architecte et les villages continuèrent (continuent ?) à vivre dans l'illusion et dans la faute : "Deux représentants de chaque espèce, avait insisté Noé qui était de plus en plus nerveux et qu'on vit frapper un chat et une femme noire. Que les exemplaires uniques soient jetés par-dessus bord ! Toujours 18, jamais 17 !"8. Le temps est long quand on a été abandonné sur le sable par sa propre création et que la fin du monde est proche. Personne ne voulut croire ce vieux fou d'architecte et les villages continuèrent (continuent ?) à vivre dans l'illusion et dans la faute : "Deux représentants de chaque espèce, avait insisté Noé qui était de plus en plus nerveux et qu'on vit frapper un chat et une femme noire. Que les exemplaires uniques soient jetés par-dessus bord ! Toujours 18, jamais 17 !"

9. L'Architecte pleurait sur la plage en se disant qu'il était de trop. Il était le reste de toutes les opérations, le père de toutes les décimales, une espèce non encore apparue. En l'abandonnant à quai, l'humanité de Dieu avait espéré tuer dans l'œuf toutes les discussions sans fin.9. L'Architecte pleurait sur la plage en se disant qu'il était de trop. Il était le reste de toutes les opérations, le père de toutes les décimales, une espèce non encore apparue. En l'abandonnant à quai, l'humanité de Dieu avait espéré tuer dans l'œuf toutes les discussions sans fin.

10. L'Architecte décida de changer de nom. Puisqu'il était le père des décimales, le reste absolu, le monde en miette et sans moitié, il se baptisa lui-même l'Homme éclaté, l'H.é., l'Haché. Le sourire lui revint lorsqu'il se rendit compte qu'il était l'Haché et qu'il avait été lâché : ainsi le présent et le passé composé, le prétérit et le plus-que-parfait fusionnait dans l'après du temps. En effet, puisque les officiels de la mesure du temps, Dieu et son prophète Noé, avaient disparu, le temps des autres n'en faisait qu'à sa tête : qui s'en soucierait ?10. L'Architecte décida de changer de nom. Puisqu'il était le père des décimales, le reste absolu, le monde en miette et sans moitié, il se baptisa lui-même l'Homme éclaté, l'H.é., l'Haché. Le sourire lui revint lorsqu'il se rendit compte qu'il était l'Haché et qu'il avait été lâché : ainsi le présent et le passé composé, le prétérit et le plus-que-parfait fusionnait dans l'après du temps. En effet, puisque les officiels de la mesure du temps, Dieu et son prophète Noé, avaient disparu, le temps des autres n'en faisait qu'à sa tête : qui s'en soucierait ?

11. La bonne humeur de l'ex-Architecte devenu l'Haché ne dura pas. Il trouvait très injuste qu'on l'eut (qu'on l'ait) exclu de son Arche sous prétexte qu'il ne vivait pas en couple. Comment aurait-il pu s'occuper d'une femme tout en concevant un bâtiment aussi complexe que l'Arche chargé de sauver la Création ? C'est son sacrifice, qu'on avait puni ?11. La bonne humeur de l'ex-Architecte devenu l'Haché ne dura pas. Il trouvait très injuste qu'on l'eut (qu'on l'ait) exclu de son Arche sous prétexte qu'il ne vivait pas en couple. Comment aurait-il pu s'occuper d'une femme tout en concevant un bâtiment aussi complexe que l'Arche chargé de sauver la Création ? C'est son sacrifice, qu'on avait puni ?

12. De retour dans la société des hommes, celle des juifs (des hottentots, des cheyennes, des aborigènes) à qui l'on avait caché que le monde était en danger en les contraignant à la routine, l'Haché passa un mauvais quart d'heure. Toutes ses tentatives de comprendre ce qu'il s'était passé étaient mises en échec. Eh puis... est-il bien utile de chercher à comprendre quand l'univers et soi même n'ont plus que quelques heures devant lui ? A bout d'idées et de nerf, l'ex-architecte qui avait concrétisé l'alliance de l'esprit et de la matière, de la matière et de la morale, devint le premier philosophe, le premier penseur sans Dieu, l'ennemi de toutes les églises. Sa mort proche et le fait d'avoir été lâché lui donnaient tous les droits.12. De retour dans la société des hommes, celle des juifs (des hottentots, des cheyennes, des aborigènes) à qui l'on avait caché que le monde était en danger en les contraignant à la routine, l'Haché passa un mauvais quart d'heure. Toutes ses tentatives de comprendre ce qu'il s'était passé étaient mises en échec. Eh puis... est-il bien utile de chercher à comprendre quand l'univers et soi même n'ont plus que quelques heures devant lui ? A bout d'idées et de nerf, l'ex-architecte qui avait concrétisé l'alliance de l'esprit et de la matière, de la matière et de la morale, devint le premier philosophe, le premier penseur sans Dieu, l'ennemi de toutes les églises. Sa mort proche et le fait d'avoir été lâché lui donnaient tous les droits.

13. L'histoire ne dit pas si l'Haché, le premier 17/18e a assisté au Déluge ou non. De toutes manières, quoiqu'en dise le peuple soi-disant élu, cette catastrophe naturelle n'a touché que la région du Tigre et de l'Euphrate, et les Finno-ougriens autant que les Aztèques n'en ont jamais entendu parler, ou bien alors beaucoup plus souvent. Il se pourrait bien (pourquoi pas ?) que plusieurs générations se soient succédé avant que Dieu ne donnât le signal de cette Apocalypse-là. Un deus ex machina ? Pas du tout, Dieu fait ce qu'il veut quand il veut, le temps de Dieu n'est pas celui des hommes. Une seconde dans l'au-delà et plusieurs millénaires se sont envolés ici-bas. La question reste donc entière : le concepteur du plan de l'Arche a-t-il oui ou non pu constater que son invention marchait ? A-t-il oui ou non assister au départ de son ouvrage et au déluge. Ou bien l'Arche est-elle partie bien avant les trombes d'eau, anticipant la panique du peuple et les bousculades ?13. L'histoire ne dit pas si l'Haché, le premier 17/18e a assisté au Déluge ou non. De toutes manières, quoiqu'en dise le peuple soi-disant élu, cette catastrophe naturelle n'a touché que la région du Tigre et de l'Euphrate, et les Finno-ougriens autant que les Aztèques n'en ont jamais entendu parler... ou bien alors beaucoup plus souvent. Il se pourrait bien (pourquoi pas ?) que plusieurs générations se soient succédé avant que Dieu ne donnât le signal de cette Apocalypse-là.

Un deus ex machina ? Pas du tout, Dieu fait ce qu'il veut quand il veut, le temps de Dieu n'est pas celui des hommes. Une seconde dans l'au-delà et plusieurs millénaires se sont envolés ici-bas. La question reste donc entière : le concepteur du plan de l'Arche a-t-il oui ou non pu constater que son invention marchait ? A-t-il oui ou non assister au départ de son ouvrage et au déluge. Ou bien l'Arche est-elle partie bien avant les trombes d'eau, anticipant la panique du peuple et les bousculades ?

14. L'histoire n'existe pas quand il n'y a personne pour la raconter. L'histoire a besoin de témoins, de rapporteurs, de porte-paroles, d'interprètes, même en contradiction, surtout en contradiction. L'histoire n'existe pas sans l'homme. En poursuivant le raisonnement, en tirant sur la ficelle, cela signifie tout simplement que l'Haché (puisque nous en rapportons l'histoire) a survécu d'une manière ou d'une autre. Que le prétendu Déluge n'est pas parvenu à en effacer la trace. Pas plus que Dieu. Le 17/18e durera autant que l'humanité, et sans doute après elle, en suspens dans le vide du concept et de l'irréalité.14. L'histoire n'existe pas quand il n'y a personne pour la raconter. L'histoire a besoin de témoins, de rapporteurs, de porte-paroles, d'interprètes, même en contradiction, surtout en contradiction. L'histoire n'existe pas sans l'homme. En poursuivant le raisonnement, en tirant sur la ficelle, cela signifie tout simplement que l'Haché (puisque nous en rapportons l'histoire) a survécu d'une manière ou d'une autre. Que le prétendu Déluge n'est pas parvenu à en effacer la trace. Pas plus que Dieu. Le 17/18e durera autant que l'humanité, et sans doute après elle, en suspens dans le vide du concept et de l'irréalité.

15. L'Haché qui est en moi, que je suis, que nous sommes en partie, se pose alors une question. le plan d'un architecte sert l'intention d'un maître d'œuvre, sa vision du bâtiment et des ses affectations, tout cela devant fonctionner et durer. En définitive, l'architecte concrétise l'abstraction d'un désir, d'un besoin, d'un projet. Si le maître d'œuvre disparaît sans laisser de traces, l'architecte lâché par son commanditaire est libéré de sa mission. C'est au moment où il se rend compte de la situation que Dieu meurt, ce salaud ! Et quand l'architecte répudié meurt à son tour, tous ceux que le vieux dieu a répudié ont le droit de le répudier à son tour. Pour l'homme lâché, pour l'Haché, pour l'Homme éclaté, le ciel est vide mais il existe encore. "'Seuls et grands, avec tous nos possibles, à la recherche d'aucune récompense ni d'aucun paradis, sans dieu ni maître et au pluriel, l'Haché pousse un grand cri et confie son destin au multiple indéchiffrable. Par delà tous les jugements."15. L'Haché qui est en moi, que je suis, que nous sommes en partie, se pose alors une question. le plan d'un architecte sert l'intention d'un maître d'œuvre, sa vision du bâtiment et des ses affectations, tout cela devant fonctionner et durer. En définitive, l'architecte concrétise l'abstraction d'un désir, d'un besoin, d'un projet. Si le maître d'œuvre disparaît sans laisser de traces, l'architecte lâché par son commanditaire est libéré de sa mission. C'est au moment où il se rend compte de la situation que Dieu meurt, ce salaud ! Et quand l'architecte répudié meurt à son tour, tous ceux que le vieux dieu a répudié ont le droit de le répudier à son tour. Pour l'homme lâché, pour l'Haché, pour l'Homme éclaté, le ciel est vide mais il existe encore. "'Seuls et grands, avec tous nos possibles, à la recherche d'aucune récompense ni d'aucun paradis, sans dieu ni maître et au pluriel, l'Haché pousse un grand cri et confie son destin au multiple indéchiffrable. Par delà tous les jugements."

16. Certains parmi le Sanhédrin, l'Eglise charismatique, la Congrégation laïque pour la Foi, le Diwan, prétendent qu'il y a eu une Arche mais pas d'architecte et que tout s'est passé à l'amiable entre Noé et son dieu. Le couple Dieu/Prophète a toujours nié l'apport de la classe ouvrière en cherchant des contremaîtres. Par bonheur, les maçons et les architectes ont accouché de leur propre chiffre d'or : tout est dit !16. Certains parmi le Sanhédrin, l'Eglise charismatique, la Congrégation laïque pour la Foi, le Diwan, prétendent qu'il y a eu une Arche mais pas d'architecte et que tout s'est passé à l'amiable entre Noé et son dieu. Le couple Dieu/Prophète a toujours nié l'apport de la classe ouvrière en cherchant des contremaîtres. Par bonheur, les maçons et les architectes ont accouché de leur propre chiffre d'or : tout est dit !

(A SUIVRE)

 


 

Troisième parution de l'Haché ou les Prolégomènes du Multiple-Indéchiffrable.

III. { LA FORME DU MONDE }

1. Nous avons fait connaissance avec l'homme éclaté, avec l'Architecte, avec l'H.é., l'homme abandonné le jour de la fin du monde, imaginons librement la forme de son monde et celle du nôtre (par forcément le même, réduire est toujours fautif). J'ai dit librement, sans contingence.

2.  Le monde est plat. Pourquoi pas ? L'Haché n'a rien contre et personne pour le contredire. Il y a forcément du mathématicien, dans l'Haché (pourquoi pas "Laché", pour faire plus simple).

Hypothèse : le monde est plat. Mise en cause préalable de l'hypothèse : il n'a pas beaucoup d'épaisseur ?  Pour que le monde tel que nous le voyons soit plat, il faudrait que nous soyons à l'intérieur de sa platitude, comme une mollécule, comme un atome trop petit pour voir qu'ils appartiennent à une planche, à une lame de parquet ou à une feuille de papier. Après tout, qui nous dit que l'univers tel que nous le voyons n'est pas enroulé sur lui-même, en lui-même comme un ruban de Moebius ?

3. Le monde est plat, donc. Laché en prend acte. Etant un atome, un animalcule hyper-nain, il n'en tire pas ombrage. Dans l'interstice (l'hyperstice pour lui) qui lui est donné (prêté pour la durée de son existence consciente), il continue de n'en faire qu'à sa tête, explorant l'espace, le temps et glanant des informations. Payé pour comprendre la leçon de Noé et de son Dieu, la platitude du monde n'interfère pas dans ses déplacements, ce qu'il connaît de corps sûr (le corps sert ? le corps sur ?), c'est la gravité qui le retient près du sol et l'empêche de s'envoler. Pour ce qui est des conséquences intangibles de la platitude de l'univers, il verra au coup le coup, Laché est un empirique plein d'imagination. Bien sûr, si l'univers est vraiment plat, s'il est une bande étalée, il y a derrière tout ça des intentions, peut-être même le dessein d'un architecte, d'un autre architecte. L'information et le problème en mémoire, Laché (L'Haché, l'Homme éclaté...) poursuit sa réflexion sur la forme du monde.

4. Laché est désordonné. Depuis que l'Arche l'a abandonné sur le sable, il déteste suivre longtemps la même route. Que le monde soit plat, rond, elliptique, spiroïdal, en quatre ou en n + 1 dimensions, il est seul et en colère. Il est en colère parce que les émules de Noé, des imitateurs, des imposteurs, ne cessent de jeter le discrédit sur lui et accouchent chacun d'une forme erronée de science dont ils font la promotion. Le soleil tourne autour de la terre dans la Bible ; le progrès est en marche pour les positivistes ; l'espace et le temps sont un leurre dans un monde sans homme ; les théories extra-lumineuses évoquent des mondes parallèles et simultanés. Laché, qui est sage à force de tout remettre en question, prend tout pour possible. Et si l'univers était une peau de léopard constituée de taches régies par des fondamentaux totalement différents les uns des autres ?

5. Laché - l'homme éclaté, l'homme laissé à l'abandon - se laisse aller, il aime à être pensé de l'intérieur, comme au fil de l'eau. Il ne sait pas où ce courant le mène mais il vient de s'éveiller à la question : dérive-t-il ou va-t-il être déjecté ? Il n'a pas envie de se pencher sur la nature des terres qu'il traverse, le cours d'eau suit la pente, l'eau s'écoule, Laché est porté par cette eau, il va ou elle va. Le monde (les terres traversées, l'horizon, l'inconnu tout là-bas au fond...) ne l'intéresse pas pour le moment. Abandonné par Noé, le doyen des voyagistes, et par les autres sauveteurs, il prend sa revanche : aucune envie de réfléchir et de comprendre, juste se laisser porter, pour le moment. D'ailleurs, le courant ralentit et le lit de la rivière s'évase, lui et sa monture l'eau sont à l'arrêt. Plat ou rond, vide ou creux, le monde lui va bien réduit à ce qu'il vient d'en vivre. Laché se dit alors (très vite et très fort) qu'il est le monde. Mais c'est trop tard. C'est passé. Aucun dieu n'a eu le temps de le conforter dans sa folie ou de gronder pour lui faire rendre gorge. Sans dieu omniscient L'Haché se dit qu'on est bien, que les secondes sont et resteront les bulles de sa liberté.

6. Laché est prudent. Il se garde bien de suivre le cours rassurant de ce long fleuve aux allures paisibles. Il saute en marche, nage vers la berge. Encore plus prudent (puisque ce voyage se déroule par l'esprit et qu'aucune carte précise n'est disponible) il se garde de traverser les terres, les forêts, les marais qui le séparent de l'ailleurs et du plus tard. Il fait un petit saut, puis un autre, puis rebondit, ses pieds dansent, des ailes viennent soulever ses chevilles et ses poignets. Il va où le vent (sous le vent, sous vent, souvent) le conduit. Puis il se dit (il est dit en lui, il est pensé en lui, lui-même est pensé) : et si l'histoire, et si le temps, les temps eux-mêmes étaient discontinus ? Et s'il y avait une réorganisation de la représentation du temps à effectuer ? Par exemple... la seconde (le mot usuel pour "instant", "irruption", "éclat", "illumination") sur la rivière, une autre et prochaine seconde, puis une autre encore sur le chemin de Damas, et celles de Siddharta et le soleil dans les yeux de cet enfant, et l'acmé vécu dans les bras de cette fille, et l'éblouissement devant la coupole de Giotto... Et si toutes ces secondes, tous ces éclats appartenaient à un fil du temps, à une toile, à une architectonie disjointe... Et si cet éclatement de l'émerveillement dans l'espace et le temps était une ère en soi, un univers soi même ? Qu'en serait-il alors de la forme du monde ? Un enchevêtrement de toiles d'araignée, A "Book of Shells" celtique ?

7. Tout cela enthousiasme Laché ! L'éclatement lui plaît atrocement, terriblement. Il ne regrette pas d'être un 17/18e, il remercierait presque (qui ?) d'être indivisible par 2, 3,  4, 5, 6, 7, 8, et 9. Il est lui et une grande quantité d'innombrables unités. Car si le temps qui coule, vu de la rive d'une rivière, est constitué de gouttes d'eau appartenant à des temps pluriels : variées, premières, orphelines, incomplètes, Noé et son dieu singulier n'ont plus qu'à chanter leurs cantilènes dans les cimetières et dans les hospices. Il n'y a pas le temps d'ici (Moloch), porteur de vieillissement et de mort, pas d'irrésistible descente vers la mort et le néant, mais un écheveau inextricable, une croisée des chemins sans fin qui redonne à chaque être son honneur et sa dignité d'explorateur, d'être complexe in progress, at process, libre au soleil, autorisé à se forger une âme, à l'expérimenter et à la confronter aux réels plats, courbes, continus ou discontinus, sans avoir à choisir dans un catalogue de diableries pour enfants conçus par des cerveaux fiévreux et fort mal intentionnés, quand on y repense.

8. Laché (qui au fur et à mesure de ses pérégrinations, de ses tribulations, de ses expériences changera sans doute d'avis) n'est pas mécontent de la forme du monde dont il a accouché ; de cette relation de l'espace, du temps et de l'information. Il la rapproche des mandalas pré-bouddhiques. Encore que l'idée de sphère lui inspire quelque réticence. La terre, si elle était ronde, induirait l'idée d'une Arche de Noé qui, à la fin de son périple autour de la planète, aurait l'occasion de réapparaître. Mais peut-être - après tout ) que le fétiche de Dieu est une balle. A condition qu'il y ait inclus le concept de faux-rebond. "Faux-rebond, pensa et cria Laché, refuge de la liberté, bête noir de tous les totalitaires, totem des 17/18e !"

(A SUIVRE)


 

 

Quatrième parution de l'Haché ou les Prolégomènes du Multiple-Indéchiffrable.

IV. { LE FAUX-REBONDS }

1. En laissant le 17/18e Laché pour compte, Noé et son dieu, quels qu'ils soient, ont commis un impair : ils l'ont rendu immortel. "I conti quadrano", "les comptes sont cadrés", disent les Italiens quand les calculs tombent justes. "Tu as beau me diviser éternellement, il y aura toujours un reste, je suis irréductible, indivisible" répondent les chiffres premiers à ceux qui veulent les simplifier. "Si on laisse tomber un objet quelconque dans le vide parfait..." ; "Si un corps quelconque plongé..." : "Le carré de l'hypoténuse"... : Peut-être, mais pas avec les chiffres premiers, pas avec le Haché.

2. Depuis qu'on l'a mis à l'écart de la crème des hommes, de ceux qui étaient dignes de représenter la création et de reconstituer l'humanité vu par Dieu en tant qu'espèce, l'Haché a décidé de poser lui-même ses conditions. Après tout, puisqu'il ne représente que lui-même et tous ceux qui ne peuvent pas faire "cadrer les comptes", il a le droit de déterminer lui-même son domaine de validité. Dont acte et circulez, il n'y a rien à en penser à l'extérieur de ça.

3. Le domaine de validité de Laché (à l'heure où ce texte s'écrit ou à celle ou vous le lisez) c'est justement que - à l'intérieur du ruban où l'on se trouve quand on est un roseau pensant - les "si" n'ont pas cours aussi facilement et qu'ils sont subordonnés aux conséquences qu'on les force à induire. Par exemple... dans le monde de Noé et de son dieu, on dans celui d'Euclide : "Si je lance un ballon avec telle force, selon telle trajectoire, dans telle direction ; s'il n'y a pas de vent, si personne ne l'intercepte, si aucune catastrophe climatique ou accident ni événement imprévu, ou même surnaturel, ne surviennent, alors ledit ballon rebondira deux fois puis s'en ira rouler dans les filets, fidèle en cela aux lois (balistiques dans ce cas) qui régissent le monde physique ; et cela est bon moralement, et cela rassure, et cela convient à l'ordre du monde tel qu'il est décrit et maintenu.

4. Dans l'univers de Laché (celui qui conçoit librement, papillon blanc, feuille au vent, panda imprévu, bouchon sur un étang...), ça ne marchera pas forcément comme ça. Car si Kant était né d'un père pasteur et d'une mère un peu folle et qu'il avait connu Wagner, sa dinde Cosima, Lou Andrea Salomé, Mahwa et ce café de Turin, il n'aurait pas écrit "La Critique de la Raison pure" et serait lui aussi mort dans un hospice pour insensés. Car si, car si... On vous dispense de la litanie de ce qui transforme votre tante en votre oncle et Hiroshima en station balnéaire sans histoire. Pour reprendre l'exemple de la balle qui rebondit si sagement, Laché garantit qu'il y a toujours du vent, qu'aucun ballon n'est manufacturé comme un autre, et que surtout, par-dessus-tout, celui que Noé et son dieu appellent le diable veille avec ses faux-rebonds !

5. "Que serions-nous sans faux-rebonds", se dit Laché (ou son successeur, ou un imitateur à sa place). Dans un monde parfait, éternellement reproductible, y aurait-il seulement un individu ? Heureusement, le coup de vent, les trous d'air, la foudre qui tombe ici ou là sans explication, bref, le hasard veille ! Imaginez-vous un peu qu'il existe une loi, une science, un savoir et une catégorie d'hommes, une section de la pensée totale, une secte, détenant le pouvoir absolu de savoir où va tomber la foudre et comment soufflent les bourrasques. "Non ! se met à hurler Laché, imité par ceux qui le suivent sans le savoir. Ils se serviraient de vous pour dessiner leur plan, pour bâtir leurs arches, leurs églises, leurs Etats ; et vous resteriez à quai avec votre irréductibilité, avec votre forme de savoir dont ils diraient aussitôt qu'elle est caduque voire périlleuse. Et vous ne tarderiez pas à connaître le sort de Giordano Bruno !

6. "Que seraient les relations entre individus vivants appartenant à l'espèce humaine si le langage parfait existait, s'il y avait des écoles et de la pédagogie pour que A exprime parfaitement sa pensée à B et que B "capte" ce que A veut dire avec "zéro erreur" ? Qu'adviendrait-il s'il n'y avait pas de distorsions, de faux-rebonds entre l'émetteur et le récepteur, si l'auditeur était sommé d'entendre tout et seulement ce qui lui est dit par le locuteur ? La suite se passe de commentaire. A un certain nombre de moments de l'histoire vue par Noé et par son dieu, des avants, à la fois linguistes, mystiques et hommes d'Etat ont totalisé leur vision et l'ont transformé en machine de guerre, allant jusqu'à compter les lettres et à mesurer les mots, à interdire toute déviance dans une sorte de Codex monstrueux dont les clés leur auraient été données par Noé et par son maître, Celui qu'on ne nomme pas. L'exemple a été imité depuis. Mais c'était compter sans l'Homme éclaté et ses faux-rebonds. Notre monde (un ruban flottant dans le nulle part de l'espace) serait un goulag avec ses prêtres en chef et ses epsilons sans nom si le projet du monothéisme avait abouti ou aboutissait un jour.

7. Là, Laché (reprenons le terme "L'Haché, il fait davantage impression) fait une pause. Il ne sait pas pourquoi mais il se méfie de son esprit de sérieux. Il doute : c'est son sabre et son goupillon. En remettant en question la mathématique qui isole les invariants et en tire des conséquences dans des conditions données, en la mettant au service de la géométrie et de la gématrie, ne devient-il pas Noé à son tour ?

8. Comme l'Haché n'a pas réponse à tout, il prend son élan et plonge dans la rivière qu'il voulait éviter. C'est plutôt rassurant, l'écheveau des gouttes de lumière qui pleurent en discontinu du Big Bang par Bouddha a pris ses cliques et ses claques ; ne reste à l'Haché que la réalité commune et ses malentendus ; ici-bas, la vérité ne se dispense qu'à dose homéopathique.

9. De faux-rebond en malentendus, l'important n'est-il pas que l'aléa soit jeté dans la direction du levant et de l'émancipation quoi qu'il en coûte ?

(A SUIVRE)

 


 

Cinquième parution de l'Haché ou les Prolégomènes du Multiple-Indéchiffrable.

V. { LE FLUX TENDU DE DIEU }

1. l’H.é, de par son histoire, est bien placé pour savoir que la perfection, l’adéquation parfaite de l’objet à ce pourquoi il a été conçu ; la trajectoire parfaite et « sans reste » de l’objet tombant dans le vide selon une loi constante et infiniment reproductible... sont une rareté. Il ne vit pas cette perfection comme son aïeul et grand cousin le Super Homme de M. N. (cf – "Une vie divine" de Sollers), il n’est pas dans la négation, dans la réaction. Soit – dans un domaine de validité parfaitement déterminé, après avoir extrait les exceptions, les lois de la physique s’appliquent sans moyen terme. Pourtant, l’H.é – qui est un peut-être cet être chair et d’esprit à durée déterminée, ou en tout cas limitée – se demande, dans le monde de vent, de rivière dont on ignore la source et le delta, le point de départ et l’océan d’arrivée ; il se demande, dans son monde de faux rebonds, de déviations et de malentendus ; de messages qu’on émet sans trop en comprendre le sens et qui sont reçus imparfaitement, si dans ce monde qui est le nôtre, donc, l’objet qui tombe suivant la loi de la gravité universelle, il n’y a pas quelque chose chez lui, en lui, de taré ; du « taré » qu’on applique à la balance.

2. La chute des corps – nous disent les physiciens – ne dépend pas de leur forme. Que le vase qui vient de tomber d’une étagère et de se fracasser sur la tomette de la résidence secondaire d’une grande famille bourgeoise soit de l’époque Ming ou acheté à Castel del Fels en Catalogne, la vitesse sera le même si le poids est identique. — D’accord, se dit l’H.é, mais qu’en a-t-il à faire, lui, de la vitesse de son vase en train de choir ? Et si – dans un premier temps – au lieu de pleurer le vase, au lieu d'en balayer les débris en maugréant, il lui venait cette question (toutes les questions viennent, elles ne demandent pas l’autorisation – c’est d’ailleurs une belle question ; d’où viennent les questions ?), s'il se posait la question suivante : « Est-ce qu’un vase rayé tombe aussi vite qu’un vase intact et neuf ? Dit autrement, les rayures - qui sont la trace d’un contact, une marque, une rugosité par rapport à la perfection du vase quand il est sorti des mains du potiers ou du céramiste ou du maître de forge – peuvent-elles ralentir d’un millionième de seconde le vase lui-même ? A priori, d’après la loi, non. La chute des corps, dans sa toute puissance, se rit des stries qui se trouvent sur le corps des corps qui tombent. En tout cas des rayures, des stries, des petites imperfections. « C’est rassurant, se dit celui qui fut l’Architecte de Noé. Que je sois pur comme on m’a fait – enfin, de nature comme on m’a fait – ou que je me sois « usé », ma chute est égale. "Cadeo ergo sum". Et la moindre satisfaction n’est pas de tomber à la même vitesse que quelqu’un qui boit moins, mange moins, qui, en somme, aurait moins de vices que moi. »

3. Après avoir fait un petit tour dans une clairière, non loin de la rivière de tout à l’heure, l’H.é revient à lui et sur ses pas, et sur sa réflexion. Pour le moment, dans le cas du vase qui tombe, être lise ou être rugueux ne fait rien à l’affaire ; la science enseigne qu’il est question de poids, de masse et de vitesse. La matière serait donc livrée « corps et biens », sans défense, aux lois de la physique. D’ailleurs la gravité est si têtue qu’elle s’impose même à un TGV qui roule à 480 à l’heure. Le vase devrait tomber en biais s’il est lâché au point A à un moment donné et s’il tombe au point B quelques centièmes de secondes plus tard. Il n’en est rien. Il tombe droit. Alors, les rayures sur le vase et les faux rebonds de l’ex-architecte…

4. Pourtant, pourtant, il semble à l’H.é  que la manière dont il s’inscrit corporellement dans l’univers autour de lui, peut obéir à des règles sensiblement différentes dans certaines conditions. S’il est projeté dans un caisson qui file à 480 à l’heure, et qu’il tombe suite à un ralentissement brusque, puis à une accélération, il va retomber en arrière, il le sent, ça lui est arrivé. Et puis… pour le vase qui tombe de l’étagère, dans sa résidence secondaire (il n’en a pas, il n’appelle pas ça commme ça, rien n’est à lui et les classements l’indiffèrent, il a l’intuition qu’une collerette, qu’une aspérité, qu’une contrariété parachute ralentirait sa chute. Finalement, c’est le rapport entre la tendance à chuter et tout ce qui contrarie la chute qui déterminera la vitesse et la durée de cette même chute...

5. Voilà, ça recommence. L’H.é redevient l’architecte de Noé, l’ouvrier abandonné après avoir réalisé les plans d’un dispositif divin. On lui a communiqué le nombre de passagers, leurs caractéristiques, un cahier des charges extraordinairement compliqué (pas facile de faire cohabiter sur le même pont un couple de cobayes et une paire de boas constrictor ; ne parlons pas du ravitaillement des murènes et du fourrage pour les éléphants…) ; il a résolu tous les problèmes. L’Arche a flotté, prête au départ. Et là, on lui dit : les règles du monde où l’on va, du monde de perfection que l’on veut, c’est à dire le dessein de Dieu soi même… n’est pas accessible, ne joue pas pour les individus. L’individu est impair. Il porte en lui le déséquilibre. Un peu comme le gaucher (la question reste entière, y avait-il un couple de gaucher dans l’Arche ?). L’inversion n’est pas bien vu par Dieu. Il préfère les sens uniques. D’ailleurs, avec le dieu de Noé, ça ne rigole pas. Il y a des lois de la gravité pour tout.Rugueux ou pas, les vases font ce qu’on leur dit !

6. l’H.é n’est pas malhonnête, ça non. Même s’il sent quand il doit « arranger » les choses pour qu’elles tournent à son avantage. Il a un avantage, d’ailleurs, n’ayant ni frère ni soeur, ni compagne ou compagnon ; ayant été lâché par Noé et par son Dieu, il n’a personne à qui faire plaisir. Malgré cela, rayure ou pas, il voit bien que la superficie d’un vase en train de tomber d’un mètre cinquante,  même s’il est cannelé, ciselé, criblé d’aspérité, n’est pas de nature à freiner sa chute. En est-il de même si l’on envoie roulé ce même vase sur le balatum ? Un vase lisse, d’une rondeur parfaite ; tiens, une bouteille sans col, une boite de conserve, un bidon… rouleront-ils aussi vite s’ils sont crénelés, ciselés, criblés d’aspérités ; bref, si au lieu d’être dans le vide absolu de la science et de ses lois, ils sont envoyés brouiller dans la réalité, sur un lino lisse ou poisseux, avec de la sciure ou de la confiture, et bien-sûr, soumis aux facéties de nos ennemis les faux-rebonds ?

7. l’H.é, c’est sûr, préfère quand il tombe par hasard sous l’empire lumineux des étincelles de Bouddha ou de Cupidon, de la coupole de Brunelleschi ou du Canal Charles-Quint sous la brume, un matin de cuite. Mais quand il suit une piste, il la suit. Etre lisse, être rugueux, ça l’inspire. A cet effet, la chute des vases et/ou le roulement d’un bidon sur le lino ont leurs limites. « Essayons avec le vent, se dit-il, le vent souffle en sens contraire et j’avance. Que se passe-t-il si je suis vêtu d’une cape ou d’un ample manteau ? Si je suis vêtu d’une combinaison d’homme grenouille ? Si je suis en t-shirt ? Si je porte un justaucorps ? Si suis nu ? Si j’ai revêtu le body d’un coureur cycliste contre la montre ? Le vent souffle donc, fort, à une vitesse constante, et je veux parcourir un kilomètres pour rentrer chez moi. Que faire ? Comment m’y prendre pour choisir la meilleure tenue ? Celle qui me permettra de rentrer au chaud dans les meilleurs délais ? Les maths me disent que la solution aérodynamique du cycliste est la meilleure. Les soi disant serviteur de Dieu me disent que la solution « tout nu » est exclue par la morale publique, les femmes et les enfants d’abord. l’H.é se gratte la tête au bord de sa rivière - dont les vaguelettes étincellent au crépuscule selon des lois qui n’en expliquent pas les aléas lumineux -  puis il a une idée, une idée provisoire, une idée de départ. Qu’il soit en cafetan ou en short, débraillé ou en tenue d’homme grenouille, qu’il revienne de la pêche ou de l’école, d’une "vouerie" ou de la messe, il va rentrer chez lui en déployant l’énergie nécessaire (combien de Pascal, combien de joules) pour se mettre au sec. Et si cela lui a coûté un peu plus d’énergie, il s’en moque. CQFD.

8. l’H.é se met dans des situations difficiles, souvent ridicules, il s’arrange pour faire une pirouette et, comme le chat qui vient de tomber du balcon, il se retrouve sur ses pattes, lèche ses poils et reprend son chemin, peinard et élastique, la paupière ronronnante, l’air indifférent. Puis, quand il n’y plus personne en vue, il numérote ses abattis et se met à geindre. La chute, le roulage, le vent contraire, tout cela n’est pas satisfaisant et il le sait. Laissons la science et Dieu au peuple de Noé. Ce que l’H.é  se cache, c’est qu’il avait une  idée préalable, un a priori. Cet a priori lui revient. Comme tous les a priori, c’est un jugement moral. Et le sien disait: « Je suis un numéro impair doublé d’un chiffre premier ». Je suis orphelin, célibataire, single. Survivant de l’H.é abandonné avant le Déluge, j’ai traversé le temps et je ne peux me mêler à rien. En poursuivant mon questionnement, j’ai retardé l’Arche. En refusant l’évidence de Dieu, l’évidence de la Chute des Corps, l’évidence d’un monde tridimensionnel, l’évidence du temps et de l’espace, je sème la confusion dans le monde des vivants, je retard la justice et à la fois la justesse. J’empêche que le compte soit rond.

9. Le retard. Retarder. Faire partir plus tard. Mais le temps, ce serait de l’argent. Faire le plus vite possible. Ne pas perdre son temps. Tuer le temps. l’H.é est assis  au bord de l’eau, il a enlevé ses sandales et la pointe de son pied dessine des ronds dans l’eau. Avant, jadis, antan, les moments où « ça pressait » étaient plus rares. Il se mit à les rechercher. Quand il fallait traire les vaches. Quand il fallait finir les foins avant l’orage. Quand l’unique bus ou l’unique train passait. Quand on était mordu par une vipère. Quand c’était l’heure de la messe. Quand il fallait se rendre au bureau de conscription. A l’usine, surtout, à cinquante kilomètres de là. Pour pointer à l’heure et ne pas se faire mettre à la porte.

10. Le reste de son temps, le temps n’était pas aussi « peuplé », « comprimé », « balisé » qu’il ne l’est aujourd’hui. l’H.é se rappelle un temps où le temps n’existait pas pendant de très longues périodes. Du temps d’avant les pères et les grands-pères de Noé, de vieux bédouins en flanelle, tout se reproduisait à l’identique : naissances, croissance, alliances, fécondité, disette, déchéance, disparition, de telle manière qu’on avait l’impression d’un immense lac stagnant. Et la bande à Noé, d’Afrique en Asie, d’Europe à l’Océanie, nommait le petit-fils du nom de son père, qui était celui de son grand-père aussi. On vivait au rythme du temps de Dieu, "nihil novi sub sole". L’An – 950 pouvait être l’année des grillons, l’an — 943, celui de la mort de ce marchand étouffé par un mal inconnu. Quant aux heures, aux minutes et aux secondes, elles se succédaient à l’insu de tous et n’avaient pas de nom ; les liseurs de traces savaient qu’Abd-el-X était passé sous un arbre entre le moment de la sortie des scarabées et le passage d’un renard des sables ; toutes choses se produisant chaque matin juste après la disparition de la lune du ciel et avant le lever du soleil, mesure de durée variable, et même s’inversant selon les saisons. « Eh oui, fait l’H.é en écartant son gros orteils et en laissant l’eau verte de la rivière se faufiler entre ses orteils, à cette époque-là, le temps était question d’évaluation. »

11. Une expression, un concept, une idée aussi acérée qu’un pieu vint se ficher dans l’eau du moment de l’H.é, à quelques centimètres de son gros orteil, provoquant la fuite des goujons qui 'fleuretaient' avec ses mollets : il s’agissait du mot : « Flux tendu ! » L’H.é avait entendu cette curieuse expression de nombreuses fois, mais il avait fallu du temps pour qu’il comprenne de quoi il s’agissait. D’après lui, le mot flux était utilisé dans le cas d’une précipitation canalisée. Quand il entendait cette monosyllable :  « flux », il se sentait en présence du contraire absolu de l’eau paisible qui caressait ses jambes et des joncs de la douce rivière qu’il regardait couler depuis une heure avec délectation, selon le rythme sans a-coups de l’avant, de l’auparavant. Flux, c’était de l’eau devenue solide de par la vitesse à laquelle elle était propulsée, et par l’étroitesse du goulet qu’elle était contrainte d’emprunter. C’est cela ! l’H.é – quand il pensait flux – voyait un boyau de liquide devenu dur comme une matraque, capable de désosser une carcasse, de désintégrer un barrage végétal, de faire reculer un petit animal. Et puis il y avait le « x » de fluxion qui se jetait dans votre poitrine et la paralysait. Le flux et le reflux de la  marée ou d’une tempête. En deça de lui, en amont, qui propulsait le flux, qui lui donnait naissance et le jetait sur nous. Et tout cela dans quelle intention ?

12. l’H.é sortit les pieds de l’eau et les sécha dans l’herbe tendre en frottant le dessous comme l’aurait fait un ruminant en colère. Il respira profondément mais cette irruption imprévue de « flux tendu » se mit à lui pourrir la vie. Il est flux et on l’avait tendu. Autant dire l’accélération et l’empressement ou l’alourdissement du fardeau. De quoi s’agissait-il ? Quand il avait un problème, dans son monde multiple et indéchiffrable, l’H.é en revenait au moment où Noé lui avait annoncé qu’il n’était pas apte au voyage et qu’on le laisserait annoncer la bonne nouvelle aux autres condamnés. A ce moment-là (non pas unité de temps mais endroit de l’action, événement, cose qui se produit ni avant ni après mais ad hoc), Noé ne fait que lui dire : un autre temps va commencer dont tu es exclu. Je te laisse l’ancien temps qui va prendre fin sous peu. Fais de ce temps ce que tu veux, c’est trop tard. Je n’ai plus le temps. Dieu n’a plus le temps de s’occuper de toi et des autres, ceux qui n’ont pas suivi sa voie. Alors, adieu mon vieux, à nous revoir à la fin de tous les temps.

13. Au-delà de l'aspect brutal de la sentence, l’H.é fouille dans la mémoire de l’Architecte qu’il a été pour se rappeler si on lui avait donné un délai. Non. Il fallait juste que ce travail fût achevé au plus vite, mais le maître-d’œuvre, Dieu, donnerait le temps nécessaire au maître d’ouvrages et à ses conducteurs de travaux. Ce qui comptait plus que tout, c’est qu’on l’ait cru et que cette maudite Archer prenne l’eau avant qu’il déclenche sa fureur de femme jalouse.

14. l’H.é de la rivière et l prend le chemin qui conduit à une église, tout là bas au loin (les églises ont au moins cette fonction de repère dans l’espace et de phare). Il se dit : « Messieurs, vous avez trop perdu de temps ! Noé, vous êtes le principal responsable, il fallait tout prévoir. » Que se serait-il passé si Dieu avait dit : « C’en est trop, je n’en peux plus de tout ce vice, de toutes ces tares, de toutes ces pièces uniques, de tous ces gauchers ! » « Si vous aviez anticipé, bande de pleutres, aurait-il dit, les poutres, les mats, les voiles, les éclisses et les manilles seraient déjà assemblés. » Avant de conclure : « Au nom de la bonne organisation du travail, de l’économie, de la rapidité ; et donc de la rentabilité de mon royaume, bref, de la divine conception de la gravité physique et spirituelle que je me fais du monde, vous êtes tous des bons à rien et j’en finis avec toute cette comédie. » L’H.é laissa filtrer un sourire. Personne n’eût voulu d’un dieu à flux tendu avant que l’Arche n’ait été prête à prendre la mer. Par bonheur, l’Amérique n’existait pas encore et les Japonais n’apparaissaient pas sur les cartes de l’époque.

(A SUIVRE)

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