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Troisième parution de l'Haché ou les Prolégomènes du Multiple-Indéchiffrable.

III. { LA FORME DU MONDE }

1. Nous avons fait connaissance avec l'homme éclaté, avec l'Architecte, avec l'H.é., l'homme abandonné le jour de la fin du monde, imaginons librement la forme de son monde et celle du nôtre (par forcément le même, réduire est toujours fautif). J'ai dit librement, sans contingence.

2.  Le monde est plat. Pourquoi pas ? L'Haché n'a rien contre et personne pour le contredire. Il y a forcément du mathématicien, dans l'Haché (pourquoi pas "Laché", pour faire plus simple).

Hypothèse : le monde est plat. Mise en cause préalable de l'hypothèse : il n'a pas beaucoup d'épaisseur ?  Pour que le monde tel que nous le voyons soit plat, il faudrait que nous soyons à l'intérieur de sa platitude, comme une mollécule, comme un atome trop petit pour voir qu'ils appartiennent à une planche, à une lame de parquet ou à une feuille de papier. Après tout, qui nous dit que l'univers tel que nous le voyons n'est pas enroulé sur lui-même, en lui-même comme un ruban de Moebius ?

3. Le monde est plat, donc. Laché en prend acte. Etant un atome, un animalcule hyper-nain, il n'en tire pas ombrage. Dans l'interstice (l'hyperstice pour lui) qui lui est donné (prêté pour la durée de son existence consciente), il continue de n'en faire qu'à sa tête, explorant l'espace, le temps et glanant des informations. Payé pour comprendre la leçon de Noé et de son Dieu, la platitude du monde n'interfère pas dans ses déplacements, ce qu'il connaît de corps sûr (le corps sert ? le corps sur ?), c'est la gravité qui le retient près du sol et l'empêche de s'envoler. Pour ce qui est des conséquences intangibles de la platitude de l'univers, il verra au coup le coup, Laché est un empirique plein d'imagination. Bien sûr, si l'univers est vraiment plat, s'il est une bande étalée, il y a derrière tout ça des intentions, peut-être même le dessein d'un architecte, d'un autre architecte. L'information et le problème en mémoire, Laché (L'Haché, l'Homme éclaté...) poursuit sa réflexion sur la forme du monde.

4. Laché est désordonné. Depuis que l'Arche l'a abandonné sur le sable, il déteste suivre longtemps la même route. Que le monde soit plat, rond, elliptique, spiroïdal, en quatre ou en n + 1 dimensions, il est seul et en colère. Il est en colère parce que les émules de Noé, des imitateurs, des imposteurs, ne cessent de jeter le discrédit sur lui et accouchent chacun d'une forme erronée de science dont ils font la promotion. Le soleil tourne autour de la terre dans la Bible ; le progrès est en marche pour les positivistes ; l'espace et le temps sont un leurre dans un monde sans homme ; les théories extra-lumineuses évoquent des mondes parallèles et simultanés. Laché, qui est sage à force de tout remettre en question, prend tout pour possible. Et si l'univers était une peau de léopard constituée de taches régies par des fondamentaux totalement différents les uns des autres ?

5. Laché - l'homme éclaté, l'homme laissé à l'abandon - se laisse aller, il aime à être pensé de l'intérieur, comme au fil de l'eau. Il ne sait pas où ce courant le mène mais il vient de s'éveiller à la question : dérive-t-il ou va-t-il être déjecté ? Il n'a pas envie de se pencher sur la nature des terres qu'il traverse, le cours d'eau suit la pente, l'eau s'écoule, Laché est porté par cette eau, il va ou elle va. Le monde (les terres traversées, l'horizon, l'inconnu tout là-bas au fond...) ne l'intéresse pas pour le moment. Abandonné par Noé, le doyen des voyagistes, et par les autres sauveteurs, il prend sa revanche : aucune envie de réfléchir et de comprendre, juste se laisser porter, pour le moment. D'ailleurs, le courant ralentit et le lit de la rivière s'évase, lui et sa monture l'eau sont à l'arrêt. Plat ou rond, vide ou creux, le monde lui va bien réduit à ce qu'il vient d'en vivre. Laché se dit alors (très vite et très fort) qu'il est le monde. Mais c'est trop tard. C'est passé. Aucun dieu n'a eu le temps de le conforter dans sa folie ou de gronder pour lui faire rendre gorge. Sans dieu omniscient L'Haché se dit qu'on est bien, que les secondes sont et resteront les bulles de sa liberté.

6. Laché est prudent. Il se garde bien de suivre le cours rassurant de ce long fleuve aux allures paisibles. Il saute en marche, nage vers la berge. Encore plus prudent (puisque ce voyage se déroule par l'esprit et qu'aucune carte précise n'est disponible) il se garde de traverser les terres, les forêts, les marais qui le séparent de l'ailleurs et du plus tard. Il fait un petit saut, puis un autre, puis rebondit, ses pieds dansent, des ailes viennent soulever ses chevilles et ses poignets. Il va où le vent (sous le vent, sous vent, souvent) le conduit. Puis il se dit (il est dit en lui, il est pensé en lui, lui-même est pensé) : et si l'histoire, et si le temps, les temps eux-mêmes étaient discontinus ? Et s'il y avait une réorganisation de la représentation du temps à effectuer ? Par exemple... la seconde (le mot usuel pour "instant", "irruption", "éclat", "illumination") sur la rivière, une autre et prochaine seconde, puis une autre encore sur le chemin de Damas, et celles de Siddharta et le soleil dans les yeux de cet enfant, et l'acmé vécu dans les bras de cette fille, et l'éblouissement devant la coupole de Giotto... Et si toutes ces secondes, tous ces éclats appartenaient à un fil du temps, à une toile, à une architectonie disjointe... Et si cet éclatement de l'émerveillement dans l'espace et le temps était une ère en soi, un univers soi même ? Qu'en serait-il alors de la forme du monde ? Un enchevêtrement de toiles d'araignée, A "Book of Shells" celtique ?

7. Tout cela enthousiasme Laché ! L'éclatement lui plaît atrocement, terriblement. Il ne regrette pas d'être un 17/18e, il remercierait presque (qui ?) d'être indivisible par 2, 3,  4, 5, 6, 7, 8, et 9. Il est lui et une grande quantité d'innombrables unités. Car si le temps qui coule, vu de la rive d'une rivière, est constitué de gouttes d'eau appartenant à des temps pluriels : variées, premières, orphelines, incomplètes, Noé et son dieu singulier n'ont plus qu'à chanter leurs cantilènes dans les cimetières et dans les hospices. Il n'y a pas le temps d'ici (Moloch), porteur de vieillissement et de mort, pas d'irrésistible descente vers la mort et le néant, mais un écheveau inextricable, une croisée des chemins sans fin qui redonne à chaque être son honneur et sa dignité d'explorateur, d'être complexe in progress, at process, libre au soleil, autorisé à se forger une âme, à l'expérimenter et à la confronter aux réels plats, courbes, continus ou discontinus, sans avoir à choisir dans un catalogue de diableries pour enfants conçus par des cerveaux fiévreux et fort mal intentionnés, quand on y repense.

8. Laché (qui au fur et à mesure de ses pérégrinations, de ses tribulations, de ses expériences changera sans doute d'avis) n'est pas mécontent de la forme du monde dont il a accouché ; de cette relation de l'espace, du temps et de l'information. Il la rapproche des mandalas pré-bouddhiques. Encore que l'idée de sphère lui inspire quelque réticence. La terre, si elle était ronde, induirait l'idée d'une Arche de Noé qui, à la fin de son périple autour de la planète, aurait l'occasion de réapparaître. Mais peut-être - après tout ) que le fétiche de Dieu est une balle. A condition qu'il y ait inclus le concept de faux-rebond. "Faux-rebond, pensa et cria Laché, refuge de la liberté, bête noir de tous les totalitaires, totem des 17/18e !"

(A SUIVRE)



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