27.— 1972/73 : rhizome quand tu nous tiens, entre pionicat et Andreas Baader


Le processus d’atomisation qui s’opère chez le fils Morisi devenu un membre de la faune bisontine est encapsulé dans cette présentation du tandem Guattari-Deleuze, têtes de gondole des transgressions de l’époque en compagnie des rebelles de l’école de Francfort (Horckheimer, Adorno, Marcuse.) et de situationnistes Debord et Vaneighem… Inspirez profondément, lisez au compte-gouttes.

"Ne soyez pas un ni multiple, soyez des multiplicités ! Faites la ligne et jamais le point ! Le rhizome est une célébration de la pensée en réseau, il est transversal, tentaculaire et nomade, contrairement à la racine, unique et sédentaire. Comment le rhizome peut-il nous aider à penser le monde ? "

Et voilà, j’avais mis la main sur une martingale. Enfant de mes ombilics (de la botte, de la balle, de la gauche, de la tour de Babel, de la fraternité et bientôt du sexe) je n’étais pas anormal, inadapté, instable, pervers et polymorphe, un peuple perdu à moi tout seul, mais « transversal, tentaculaire et nomade », un rhizome, quoi.

Rizhome ou pas, je m’étais mis à faire n’importe quoi sans m’en rendre compte...

Sorte d’ours gentil en quête de miels rares, je bousculais tout sur mon passage, à commencer par ceux qui me voulaient du bien : mes parents, mes oncle et tante (pauvre tata qui me rêvait propre sur lui avec une frange à la romaine et qui ne dormait pas à Paris en imaginant le pire) ; Jean-Paul et Josette, ma deuxième famille ; les filles que je rencontrais et qui auraient aimé me passer une cordelette au cou, ne serait-ce que pour un temps ; mais également les profs qui me trouvaient doué, un dirigeant de foot atterré par mon comportement, les camarades ou les familles que je réveillais tard parce que je venais d’avoir une idée géniale...

C’est le foot qui allait freiner ma boulimie existentielle. Joueur pas banal quoique inadapté au plus haut niveau, je reçois pas mal de propositions de très bons clubs amateurs. De retour à Dole, j’ai la chance de tomber dans une équipe de gamins talentueux dont je suis le leader... à 21 ans. Non sans accros avec les dirigeants qui sont des incompétents, nous manquons être relégués après avoir fini les matchs aller en tête du championnat, mais nous gagnons la coupe Doubs-Jura au terme d’une finale spectaculaire. On est loin de San Siro et de Wembley mais on fête ça comme un triomphe à la coupe du Monde.

La saison suivante, les choses se gâtent dans la mesure où je n’en peux plus fe faire des allers-retours entre Dole et Besançon et que ce sont mes parents qui financent mes études, si l’on peut appeler ça comme ça.

Ayant eu vent de la situation, les dirigeants de Champagnole, qui évolue en Honneur (l’équivalent du CFA 1/CFA 2), prennent contact avec moi via Serge, le défenseur central de l’équipe de la fac, et me font une proposition. Si je démissionne du FC Dole et que je signe à Champa, on me trouvera une place de surveillant au lycée technique. Je trouve l’idée séduisante, les pions sont payés comme des ouvriers qualifiés à l’époque. Toucher l’équivalent de 1500 euros par mois pour deux jours de pionicat, jouer à un bon niveau, dormir loin des tentations de la boucle, ça ne pouvait pas me faire de mal.

Me voilà enrôlé sous le maillot vert de l’ASC, où je fais ce qu’il faut pour me rendre utile, au point de devenir la (petite) coqueluche des supportrices locales qui, faute de distractions adéquates, faisaient la claque le long de la main courante et chez l’Américain, le bar tenu par le président où l’on fêtait les victoires, les nuls et même les défaites.

Vous pouvez l’imaginer, j’étais pas mal sur la route. Forcé de me lever aux aurores pour être certain d’arriver en stop à l’heure de mon service la mardi midi, je devais trouver un camarade étudiant pour me voiturer à Besac le jeudi, où je sautais dans un short, dans mes plus belles chemises et dans des lits de fortune, au grand dam de Jean Paul et de Josette qui me reprochaient de prendre notre apparte pour un hôtel.

Je m’en rends compte à présent, je pouvais être inquiétant. Accro aux ambiances du bar de l’U, aux nuits passés avec Daniel H., mon mentor théâtral, aux conversations sans fin avec Farid à la Cave de l’Etoile, il n’était pas rare que je parcoure les quatre ou cinq kilomètres qui séparaient le centre de la rue Nicolas Nicole en courant, si si, en courant et pas au trot. Pauvre Jean Paul, qui n’en pouvait plus de m’entendre frigonner dans le frigo à trois heures du matin, me faire un casse croute et marmonner en noircissant mes carnets de notes dans la cuisine...

Côté cœur, il y eut Annie D., une douce et tendre blonde, charmante et travailleuse. Inscrite en droit, elle suivait quelques cours de philo et de psycho. Côte à côte on donnait l’impression d’une paire bien assortie. Il ne se passa jamais rien entre nous, rien de charnel. Elle montait rue Nicolas Nicole et nous préparions je ne sais quel exposé. Josette, qui m’aurait bien vu courtiser sa sœur et rejoindre la famille, voyait Annie d’un mauvais œil ; du moins je le pensais. Qu’est-ce que j’attendais pour avouer à la future présidente de l’AFFC que j’avais le béguin pour elle, je l’ignore, elle devait bien le voir. Bref, j’étais à peu près aussi ridicule et inexpérimenté en matière sentimentale que je l’avais été (et l’était encore) en excursion pour Cythère.

A part ça, dans le vrai monde, les premiers mois de 1992 furent marqués par les décès de Maurice Chevalier, de Dino Buzzati et du styliste Balenciaga. On assista à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Tokyo. Beaucoup plus dramatiques furent le Bloody Sunday qui ensanglanta l’Irlande du Nord et l’arrivée au pouvoir en République Centrafricaine de l’ogre Bokassa. Pour mettre un point final à une époque, la police d’Allemagne fédérale mis la main sur Andreas Baader, le cerveau de la Rote Armee Fraktion... dont on disait que quelques membres s’étaient réfugiés dans la Boucle chez leurs potes d’Action directe..

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