26. - Besac, capitale mondiale des périphéries centrales... Pionnier espagnol, filons arabes et tremplin nordique...


D’aucuns se targuent d’avoir étudié à Saint-Cyr, à la Sorbonne ou à Stanford, d’autres remercient les dieux (dont les GPS ne retrouvent pas les coordonnées) de les avoir amenés à La Rochelle, à Toulouse où à Besançon.

Pour ma part je n’appris que j’aurai pu postuler à science po et aux grandes écoles qu’en troisième année de fac. Le simple mot de carrière me collait des boutons, carrière c’était pour moi la fissure poussiéreuse le long de la RN 5 entre Sampans et le rond point de Bourgogne, saignée d’où paraît-il venait la pierre rose qu’on avait utilisée pour les marches de l’Opéra et le socle de la Statue de la Liberté.

Besançon a été un coup de foudre, une grande histoire d’amour, un béguin qui dure encore. Car à Besançon il y avait tout ce qu’un garnement vorace pouvait désirer ; un centre-ville peuplé par un tiers de jeunes gens, un pourcentage élevé d’intellectuels et de diplômés, une population majoritairement progressiste et une tradition socialiste douce, héritage des thomistes de l’archevêché, de Victor-Hugo : enfin de Proudhon et de Fourier les socialistes dit utopiques, proches de l’anarchie. Le tout mis en musique par le compagnonnage des ateliers d’horlogerie implantés jadis par les voisins suisses.

Pour une ville des marches de l’est, il y avait énormément de ressortissants étrangers et ça ne datait pas de la vielle puisque Jules César raconte Vesontio et ses affrontements avec les Séquanes, les Celtes de l’endroit. Puis arrivent les Francs. Les Habsbourg. Les Espagnols. Des Helvètes et des Bourguignons. Les horribles Saxe-Weimar, des Souabes associés à des Suédois de Finlande, enfin toutes sortes de ulhans violeurs qui laisseront des traces dans le morphotype des hauts plateaux du Doubs. Il y eut enfin plusieurs vagues de Prussiens et de Saxons de 1870 à 39-45.

Pour ceux qui connaîtraient mal l'histoire...

Besançon, ville qui eut le droit de frapper monnaie d’or, le beson, avait appartenu au croissant bourguignon régi par Charles Quint, dont le premier ministre Granvelle résidait sur place dans le palais actuel. Léguée par héritage au roi d’Espagne, la ville devient cité germanique avant d’être échangée pour devenir la capitale de la Comté, que le roi de France venait de conquérir après plusieurs siècles de vaines tentatives. Plus internationale que Besançon, à l’écart de Parie la jacobine, il n’y avait guère si l’on ajoute que des horlogers suisses en ont fait leur arrière-cour et qu’une ribambelle de bucherons savoyards, c’est-à-dire piémontais, c’est-à-dire italiens, allaient se déverser dans le haut-Jura et dans le haut-Doubs, y prenant racine avec leurs compères mineurs et maçons comme en attestent l’annuaire téléphonique et la composition des équipes de football de la région, où les citoyens suisses sont légion et les binationaux nombreux.

 

À Besançon en 1950 arrive Bernard Quemada, le fils d’un papa espagnol et d’une maman française. Assistant, il s’est illustré avec une thèse sur la galanterie, puis autour de la question des dictionnaires de français dans l’histoire. Sept ans plus tard, il a l’idée de créer à Besançon un Institut de langue et civilisation française destiné à l’encadrement des étudiants étrangers. De cette intuition naîtra le centre de linguistique appliquée de Besançon, fleuron du français langue étrangère, où étudieront rien moins que la future impératrice du Japon et une légion de diplômés parmi les rejetons de l’élite politique africaine, mas pas seulement.

Ce satisfecit du patriote bisontin que je suis (outre que j’ai exercé avec passion au CLA d’été) n’est pas un ornement. Innombrables sont les étudiants venus étudier à Besançon, qui ont été aimantés par cette ville-femme à la topographie troublante : les collines avoisinantes comme des seins maternels, la boucle parfaite du Doubs, ses rues qui serpentent, ses courbes, ses trajes, ses arrière-cours, ses toits et ses hautes cheminées, comme autant de sortilèges dont on sort déboussolés...

Poésie, exagération d’un graphomane sous emprise ? Pas seulement. Passez une semaine à Besançon et vous rencontrerez des libraires iraniens, des humanitaires d’origine indochinoise, d’anciens anars chiliens, une linguiste états-unienne née en Caroline du Nord, un enseignant érudit fils de Portugais, d’anciens instits tunisiens, marocains, algériens ayant fondé famille alentour... Jadis l’envoyé du Hong Kong Times qui jouait sa paie au billard à la Brasserie Universelle. Des Jeunes socialistes allemand (Juso) venus se faire pardonner pour les massacres perpétrés par leurs parents... Des soi disant membres des Brigades Rouges. Un géographe retour du continent arctique. Un sadou hindou reconverti dans la finance. Un inventeur syrien qui voulait transformer sa Coccinelle en hélicoptère...: Besançon en capitale de la diversité miniature en somme. Un univers de contes et de légendes. Une terre de roman où l'on croisait un prof d’économie somalien à l'accent de Haute-Saône, une femme officier du Mossad travestie en baba, un roitelet homosexuel prince consort du Burundi, des pilotes de ligne en goguette, Macché Dijon, Nancy et Aix en Provence !

Et Morisi direz-vous : où en était-il depuis qu’il avait tutoyé la banlieue du Septième Ciel avec Joëlle ?.

Il en était qu’il profita de la présence à la Cave de la fac et au bar de l’U de deux séries d’ambassadeurs. La première conduisant au pays des Mille et une Nuits, la seconde à Ultima Thulé. — J'y viens, ne vous impatientez pas.

Au bar de l’U trônait un roi mage au physique imposant e à l’impressionnante barbe noire et frisée. C’est un lundi matin que je lui adressai pour la première fois la parole. À propos de foot italien car il avait étudié au Caire mais également à Rome où il était devenu supporter de... la Juventus de Turin.

Nous voici donc amis, commentant les résultats du Calcio, lui le Zèbre bianconero (la Juve), moi le Diable rossonero (le Milan AC)

Le patriarche s’appelle Farid. Je l’apprends progressivement, son père était le ministère d’Idriss de Libye que le colonel Ghedafi vient de déboulonner trois ans plus tôt.

Ma rencontre avec Farid fut une bénédiction. Farid était (est ?) un étudiant à vie, un érudit de la chose arabo-musulmane, des affaires de géopolitique, outre qu’un polyglotte éminent (arabe classique, dialectal, anglais, français et italien). Lors de nos interminables discussions (nous mangions trois fois par jour et finissions la nuit en dévorant des fondues bourguignonnes à la Cave de l'Étoile), nous parlions foot mais également colonialisme italien et des souvenirs que lui et sa famille ont des violences perpétrées par les soldats transalpins, dont toute sa famille parlait alors la langue couramment.

À la même période, je me lie d'amitié avec Mongi, un étudiant dont le papa est imam à Carthage et qui veut devenir instituteur en France. Mongi, dont la malice, l'œil brillant et l’art de converser m'enchantent, me fait découvrir Geha, le héros récurrent des contes orientaux, ce bonhomme à bonnet dont on ne sait jamais s’il est un imbécile ou un philosophe. Bavard qui écoute, je bois les paroles de Mongi comme un bébé, il me raconte Hannibal, Asdrubal, la démolition de Carthage par les Romains ; me parle de Bourguiba, du statut des femmes en Tunisie, des pâtisseries de sa mère, mais surtout des bienfaits de la boukha, cet alcool de figue que nous buvons sans modération chez Hocène, rue d'Arènes, pour faire revivre Avicenne et Haroun-ar-Rachid.

Comme je suis un funambule de l’aporie, c’est le moment que je choisis pour faire la connaissance de Svanté, un anarcho-éthylique arrivé du cercle polaire côté Suède. Svanté, qui me demande un jour de l’accompagner à la banque pour pouvoir continuer à jouer au Casino, et qui commande un demi au guichet ! - était intarissable quand il s’agissait de parler de la littérature de son pays, en particulier de Pär Lagerqvist, dont il me recommandera de lire les nouvelles : Barabbas, Le Nain, le Bourreau... Ce que je fais et qui change une partie du cours de ma vie. Car considérant la proxmité de la Suède et de la Norvège, j'ai l’heur de plaire à une belle grande blonde prénommée Anette, qui limoge son chevalier servant du moment, et propose que nous allions étudier l'œuvre de Knut Hamsun chez ses parents, sur les hauteurs d’Oslo, à deux pas du mythique tremplin de saut à ski de Hollmenkollen...

Je ne suis pas vraiment prêt pour le grand saut mais je nous trouve une voiture et je relève le défi...

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