19. Langue paternelle, langues mortes, argots, jargon et langues étrangères : ma tour de Babel...


Je suis né dans les locaux de l’hôpital militaire de Neuilly-sur-Seine le 1er janvier 1951, selon ma mère, dans la chambre 11. Je suis techniquement né à Neuilly mais c’est à Nanterre que mes oreilles ont capté les premières conversations autour de moi. En français entre mes parents, avec mes oncle et tante, mais en dialecte de Plaisance (Èmilie-Romagne) lorsqu’on me portait chez Lazzaro et Maria, mes grands-parents.

En italien véhiculaire aussi, lorsque Papa invitait des compatriotes à la maison.

La valse des intonations et des accents ne s’arrêtait pas là. Papa me fit rencontrer des amis ouvriers qui venaient d’Algérie, de Yougoslavie, d’Espagne, mais également d’Alsace, de Normandie, du Pas de Calais ou de Marseille.

Au collège ce fut le tour de l’allemand première langue et du latin, autres logiques, autre syntaxe, mystère des inversions et des participes passés rejetés en fin de phrase. La Guerre des Gaules, les discours de Cicéron, puis l’enchantement brutal des Nixe et des Lorelei, qui me servirent bien peu quand je me mis en quête de cousines germaines et de camarades de jeu.

Nous sommes toutes et tous la résultante mal maitrisée des mots et des verbes que nous devons assimiler pour grandir.

Or j’ai tout de suite été « fou des mots ». Au point d’apprendre les 100 premières pages de mon Petit Larousse. Afin de montrer que j’étais français ?

 

Mes grands amis du Centre linguistique appliqué de Besançon l’ont compris parmi les premiers. Il y a une sensualité des langues, une vibration, un enchantement. Après l’italien de mon père, le français de ma mère et de l’école, l’allemand du collège, il y eut l’anglais du lycée mais surtout des Beatles, grâce à qui je passai de 8/20 en anglais à 18. Un miracle ? Plutôt le désir irrésistible de mêler ma voix à la leur dans "Hard Day’s Night", "Help", "Yesterday", "Eleanor Rigby"... D’éplucher les dictionnaires et, de fil en aiguille, de me trouver sur la piste de Lewis Caroll, de William Blake, de Shakespeare (« What a sorry thought to say a sorry sight... Macbeth) , Marlowe, et grâce à toi Patrick Lehmann, de Joyce, de Dylan Thomas et de tant d’autres.

Il n’y eut plus de limite à ma chasse aux mots et aux sons venus d’ailleurs. Aidé par le latin et l’italien, je traduis les trois premières pages du Quixote de Cervantès, et les paroles du Cuardedo Cedron, un ensemble de tango argentin de gauche...

Insatiable, tout ce qui tintinnabule dans mon vestibule m’aimante. Découvrant Knut Hamsun grâce à Henry Miller, mon mentor intérieur, je m'initie au norvégien, mais également au danois et au suédois, que ma connaissance de l’allemand et de l’anglais me permet de décrypter à l’écrit. « Jag tala svenska », « Jeg snakka norsk », « det er en wacker fontain » (« c’est une belle fontaine »).

Pourquoi s’arrêter en route, je tarabuste mes amis arabes (libyens, tunisiens, marocains, algériens, libanais) et je m’essaie à prononcer les consonnes les plus ardues : 'qaf', 'sâad', 'siiiine', 'dâad', 'dhel'... ce qui m’ouvre les portes mentales de la grande civilisation arabo-musulmane.

Le portugais m'arrive par la bossa et par le football : Edson Arantès dit Pelé, Eusebio Da Silva Ferreira, né à Lourenç Marques...

Les langues étrangères mais également les parlers, les patois et les jargons puisque je suis une sorte de nomade industriel par la grâce (et la faute) de mon père; qui parle le dialecte de ses parents, un italien minimaliste qu’il a appris à l’armée du Duce avant de déserter, et un français que je qualifierais de parigot, popu et de chantier, avec quelques fautes d’accord et de conjugaison.

Ca n'est pas tout. Au PMU le dimanche matin, je m’initie à a compréhension de l’argot, du verlan, du javanais et même du pataouète.

Les mots sont des passerelles, tout me fascine : les Assyriens, les Hittites, les Hottentots, car le mot dit la chose et les phrases sont des invitations au voyage.

Bref, au moment de me confronter avec l’épreuve du Bac, je suis une tour de babil pleine de bruit et de fureur : (" full of sound and fury")..

De là à écrire dans la langue des gens du pays, le très solennel français il y avait du chemin. Un chemin que la lecture d’un certain Henry Valentine Miller ('Le Cauchemar climatisé';, 'les Tropiques'...) et mes expéditions « on the road » me fit prendre au point de m’obséder autant que les êtres humains du sexe féminin et davantage que Jacob Boehme et Emanuel Swedenborg.

(A SUIVRE)

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