18 - D'une sélection foirée au Living Theatre ou quand la vie du fils Morisi devient un Grand Magic Circus

Avant d’obtenir un 13,5/20 au bac de Français (grâce à Mallarmé et à son ‘Le Vierge, le Vivace et le Bel aujourd’hui’), je m’étais rendu à l’IREPS du château de Vincennes où était prévue une journée de sélection en vue de la formation de l’équipe de France scolaire 1969/70.

Accompagné d’Alain Chapiteau, mon pote lédonien, nous arrivons sur place et nous nous joignons à la soixantaine de présélectionnés venus de toute la France, parmi lesquels Redon, Mankovski et quelques autres qui ont déjà joué au plus haut niveau et qui feront carrière..

C'est un M. Fournier, le sélectionneur attitré, qui nous reçoit. Quatre équipes sont formées, de mémoire les bleus, les rouges, les jaunes et les blancs, le dernier choix, ceux dont on devine qu'ils seront laissés-pour-compte..

Alain fait partie des jaunes, moi des blancs. Le premier match oppose les bleus (les futurs titulaires ?) aux jaunes. Alain ne se débrouille pas trop mal, je le console, il peut se rattraper..

Quand arrive mon tour avec les blancs...

je suis les conseils de mon entraîneur au RCFC et je montre ce que je sais faire : "N’hésite pas à jouer moins collectif aux abords du but, sacrifie le beau jeu à ta performance individuelle, joue la tête haute, montre que tu as un pied gauche, charge toi des coups de pied arrêtés..."

Tout se passe à merveille, je suis dans un bon jour, je marque sur coup franc, j’organise le jeu, j’adresse deux caviars à mes attaquants.

Ca a marché ! Pour la deuxième session, je passe dans l’équipe... rouge, avec des gars venus d’un peu partout en France, mais surtout du Midi, on fait ami ami quand je leur dis que je suis fan de l'OM. que j'adore Skoblar et Magnusson;.

Ca se passe encore mieux. Je suis inspiré. Vif, élégant, brillant. J’attrape une transversale, je réussis un sombrero le long de la touche, une grand pont de l’extérieur du pied droit, quelques transversales pile-poil....

Lors de la pause du midi, le sélectionneur me fait signe d’approcher, m’invite à m’assoir à la table des bleus, me demande où je joue, à quel niveau, si j’ai l’intention de faire carrière. Je joue les timides, je lui parle de mes études, de ma passion pour l’Italie, l’écriture, la musique, la philosophie...

Le dernier match d’essai a lieu à 15 heures. L’encadrement convoque tout le monde au milieu du terrain et annonce les formations. Porca la Madonna, me volà en bleu !

La suite est un régal, me prestation est presque parfaite, j’ignore pourquoi mais Arribart, Redon, Mankovski me laissent mener le jeu et m’encouragent, ils me font comprendre que je serai bientôt des leurs et qu'on va se régaler.

Fin de partie, je n’ai pas marqué mais je suis fier. Le sélectionneur vient vers moi et me félicite, on se reverra bientôt.

Hélas, lorsque je suis rentré chez moi et que la liste des 16 sélectionnés pour le Québec paraît dans France Football, je constate que j’ai été évincé au bénéfice d'un Parisien absent du rassemblement.

J’ai les boules mais ma vie ne se résume plus uniquement à la balle qui danse et qui chante : déjà se profile la découverte de Kant et de Hegel, le coup de foudre pour Nietzsche. Les films de Fellini et de Bergman. Patrick Martin le dandy me fait découvrir Blaise Cendrars. La Bête me convainc de participer aux tableaux vivants composés à partir de La Messe du Temps Présent de Pierre Henry et mon abonnement à l’Association franc-comtoise de Culture me permet de découvrir le théâtre d’Adamov, d’Harold Pinter et le Living Theatre de Julien Beck et de Judith Malina, qui font scandale sur les planches bisontines en répondant aux insultes du public par un striptease silencieux qui transforme le poulailler en champ de bataille entre hooligans anglais.

Et puis je frôle l’épectase quand Léo Ferré s’avance à quelques mètres de moi. Ni Dieu ni maître, il n’y avait que ça, et Hara-Kiri Hebdo, et le magazine Actuel, et la contre-culture, et le Velvet, et le Grateful Dead, et Jefferson Airplane, la défense des minorités, bientôt Jerry Rubin et Abbie Hoffman et ceux de Chicago... Sans oublier le Sexus d’Henry Miller, cela va de soi...