16 - 1970-71 : Extension du domaine de la réflexion et extinction d’un rêve, du foot à l’encyclopédisme libertaire...

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L'année de mon entrée en Terminale, les fils de mon scoubidou intérieur croissent et s'emmêlent rendant mon avenir problématique et renvoyant mes rêves de Stade Vélodrome et de San Siro aux calendes grecques.

Il y avait le football, la joie de vivre une époque épique (le flower-power et la mode de l’autostop avaient conquis l’Europe) mais en plus une passion naissante pour l’écriture, stimulée par le prof d’histoire-géo, un humaniste sincère qui deviendrait adjoint au maire ; par Patrick Lehmann, le prof d’anglais qui me fit découvrir l’"Ulysse" de Joyce et m’encouragea à écrire en anglais, et en français,.Sans oublier un étonnant prof de philo, le Père Pastré, abbé marxiste-léniniste qui défroquera et épousera une femme divorcée, d’après ce que je pus en savoir plus tard.

J’ai le souvenir d’une année formidable. L’impression d’avoir poussé une porte et d’entrer dans une caverne d’Ali Baba aux richesses inépuisables. Ah les cours de philo où Pastré noircissait le tableau de nos idées avant de nous aider à les ordonner et à en faire les prémisses d’un discours ou d’un argumentaire... Ah les exposés qu’il distribuait à partir de nos questionnements et qu’il s’agissait de soutenir en classe la semaine suivante — Qu’est-ce que le fascisme, le gaullisme, le communisme, l’anarchisme : sujets sur lequel je me jetai avec délectation grâce aux petits livres Maspero et aux essais de Daniel Guérin, Proudhon, Bakounine, Kropotkine : bases pour une compréhension de la pensée politique et sociale ;

 

ais également des notions de psychologie et développement de l’intelligence, qui me valurent d’être pris comme cobaye pour une compréhension du fonctionnement des tests de QI !

 

En français, ç’avait été la guerre, Bigeard avait produit une méthode de dissertation inspirée des discours de Cicéron. Grand bien me fit, il ne suffisait pas d’être un geyser d’idées, il fallait y mettre de l’ordre.

Côté économie, histoire et géo, il fallut que je fasse le malin. Je plaidai auprès de mes profs la répétition idiote dans les programmes et la perte de temps lorsqu’on étudiait le XXe siècle des points de vue géographique, historique, économique et sociale, de l’Europe à l’Asie en passant par les États-Unis.

Aligné sans le savoir sur les positions de l’École des Annales de Marcel Bloch et de l'historien comtois Lucien Febvre, j’eus la surprise d'apprendre que le conseil de classe me permettait de réorganiser une partie du programme et m'autorisait à sécher une petite partie des cours afférents à ces sujets… Cette fantaisie me força à travailler deux fois plus en études, les maristes étaient des marioles !

Cette fin des années 60 était pyrotechnique coté musique populaire et cinéma. Je ne vais pas dresser ici la liste des merveilles rock, soul et pop qui arrivèrent à mes oreilles et firent de moi un angliciste quasiment émérite, partant du principe que c’est la pochette du « Sergent Pepper’s » des Beatles (un cadeau de mon tonton) qui avait filé un coup de booster à mon lexique british et que le « Abbey Road » des Quatre de Liverpool devint un des tubes qui accompagnait l’étude auto-surveillée des B, au grand dam des matheux de la salle d'étude voisine qui n’arrivaient pas à se concentrer et toussaient, victime de la fumée des cigarillos que nous tétions pour jouer les Affranchis.

A cette vague pop et rock on peut ajouter la cascade de chefs-d’œuvre du cinéma mondial (Fellini, Pasolini, Godard, Bergman, Buñuel, Kubrik, Sam Peckinpah...) que nous filons déguster avec le Père Neyret, avec qui nous débattions de l’existence de Dieu, de la prédestination ou des origines du mal.

Je l’ignorais encore mais il y avait trop de fils à mon scoubidou, les forces centrifuges et centripètes, celles qui déterminent le champ de forces de notre destin, se livrant une terrible bagarre dans mon for intérieur entre expansion-déperdition-concentration, éparpillement et implosion...

En effet, vorace, goulu, d’une curiosité de furet, je m'était mis à dévorer tout ce qui me tombait sous la dent, sorte d’aimant qui attirait à soi toutes sortes d’opportunités, l’exemple le plus éloquent ayant à voir avec Daniel Hessas, un très cher ami, qui animait l’atelier théâtre et monterait « Le Goûter des Généraux », le brulot anticlérical et antimilitariste de Boris Vian, dont je devins plus trd le co-metteur en scène. — Bon Dien ! Ils avaient quand même la classe les Maristes : faire jouer le premier acte de cette pièce en ouverture de la fête de fin d’années en présence de l’archevêque et d'un quarteron de gros réactionnaires était sublime, vous ne trouvez pas ?.

Passion pour la politique, rage de vivre, faim de rencontres et de voyages, pop, cinéma, théâtre, débat sur la révolution culturelle, controverses entre les gaullistes et les gauchistes, Aron contre Sartre, Sartre contre Camus : je m’éloignais du foot sans m’en rendre compte. Même si la direction de Saint Jean reçoit une convocation à mon nom pour un stage de sélection nationale scolaire à Paris. Même si le commissaire Bonnet, déçu de me voir repartir à Tavaux, oublie de me transmettre une autre lettre : celle que m’a envoyée le FC Sochaux pour disputer un tournoi international en Italie, tour de cochon dont je n’entendrai parler que deux ans plus tard de la bouche d’un professionnel sochalien arrivé à Besançon, André Malouema... Un tournoi en Italie, organisé par l'Inter de Milan : Ah le salaud !

Pendant ce temps-là, Castro et Che Guevara provoquaient l’administration états-unienne, l’idéologie ultra-libérale de Hayek et de Milton Friedman sapait la théorie de l’État Providence ; et la Chine jetait les bases d’un nouveau type de société, le communiste capitalistique...

Mon père et ma mère ? Ils se demandaient ce que j’avais derrière la tête...

( A suivre

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