12 - 68, la révolte contre le père et ces sacrées AG...


« Mai, mai, Paris mai, mai » chantera Claude Nougaro ; Léo Ferré lui répondra « il y en a un sur cent et pourtant ils existent, les anarchistes ». Pas contents, Sardou et Philippe Clay répliqueront à leur manière.

A Nanterre, à la Sorbonne, à Saint Germain des Prés et bientôt dans les usines montent une vague totalement imprévue, Dépassé, le présentateur vedette de l’époque se fait l’écho d’une opinion qui fera date : "Avril 1968, la France s’ennuie..."

Pas vraiment, car au même moment, 142 étudiants de l’université de Nanterre se soulèvent contre l’apartheid imposé aux filles et aux garçons dans la cité universitaire. Un fait-divers qui ne fait pas la une des journaux télévisés mais qui embrase le monde étuidiant et le communauté éducative.

A l’époque le monde est un poudrière pré-nucléaire. L’affrontement est total entre le monde capitaliste dit libre et le bloc communiste, mais également chez les ex-colonisés en Afrique, au moyen-orient et en Orient ; en Amérique latine, au cœur même de l’Europe avec Berlin et l’Allemagne de l’Est occupés...

Par dessus tout la guerre du Vietnam qui n’en finit plus d’unir la jeunesse planétaire dans une indignation légitime mais irénique.

Mario Morisi ? Je m’informe, je lis la presse régionale, Libé, parfois le Nouvel Obs ou l’Huma que papa achète sur le marché...

mais c’est par la radio qu’on en apprend le plus. Ah ces reportages d’émeutes à Paris où le son disait l’image, les explosions, les reporters et les manifestants hors d’haleine.

 

Le problème, c’est qu’il y a le ballon. A peine remis de ma blessure aux croisés du genou droit, on me convoque à Besançon pour une série de matchs de sélection, puis au château de Mirande près de Dijon pour un stage pascal de deux semaines. Bonheur des bonheurs, je fais partie des 16 cadets qui représenteront la Région lors de la coupe nationale des moins de 17 ans.

Faire tenir en équilibre un révolutionnaire un peu naïf e exagéré, un lycéen qui s’apprête à passer son bac de Français et un impétrant footballeur professionnel n’est pas un jeu d’enfant. D'autant que je passe de fils à son papa chef de chantier à Spartacus amateur, statut qui se prêtait bien à mes inclinations libertaires, encouragées par la notion de meurtre du père dont parlaient Freud, Jung, Groddek, une partie de mes nouvelles lectures avec Schopenhauer, Nietzsche, les existentialistes allemands et celui que Boris Vian, un influenceur de l’époque, appelait Jean Sol Partre.

C’est aux figures du père et à toutes sortes de lemmes paternels que la jeunesse de cette époque (enfin une petite partie, les autres soutenant l’ordre établi ou jouant les veaux mis en vacances par les événements) s’en prend. C'est le temps des slogans : CRS SS, US Go Home, Charlot à Colombey. Du coup les minorités se rebiffent et assimilent le patriarcat au capitalisme, à l’impérialisme et à toutes sortes de discriminations, donnant naissance à des mouvements de libération des femmes et des homos, dont le fameux SCUM dont l’acronyme signifie "Société pour les couper aux hommes".

Inutile de dire qu’à Dole, au lycée technique, dans le public comme dans le privé, c’est alerte rouge et tentative de reprise en main avec mesures disciplinaires..

Grosse erreur. Car au lieu de réunir et de débattre, de profiter de la fronde pour jouer cartes sur table dans un monde dépassé qui s’effondre devant la mondialisation, les proviseurs, les surveillants généraux ou les pères préfets tapent dur. Colles, privations, exclusions temporaires, c’est une guerre des générations et des idéologies qui s’enracine dans l’éducation nationale.

J’ai beau ne pas boire, ne pas fumer, faire du sport à haute dose et avoir les cheveux courts, je me jette dans la bataille. Étant en première, je n’ai pas de fonction élective mais on finit par me charger de l’ordre du jour et de la hiérarchie des prises de paroles.

En Assemblée générale, des dizaines d’élèves, de profs, de membres des personnels... et d’adultes en charge se chamaillent sur toutes sortes de sujets, de la fin du capitalisme au manque de papier hygiénique dans les toilettes, du remaniement des programmes d’histoire à la création de comités d’action lycéenne visant à obtenir une représentation lycéenne lors des conseils de classe.

Ca tourne vite très mal. Le proviseur, le surveillant général et leurs équipes veulent mettre un terme à ces assemblées dites constituantes. Le proviseur, un certain M. Jeunot — qu’il lui pousse des poils sous les paupières ! — a le front de couper la parole de la copine qui est 18e sur la liste alors qu'il n'était lui mêmet qu'en 54e position. Je lui claque le bec en lui reprochant son indiscipline et son attitude anti-démocratique. Comme il proteste, il se fait exfiltrer par les gars qui gardent la porte.

Pendant plusieurs semaines, ma vie est un millefeuilles d’allées et venues entre les terrains de sport et les assemblées générales, dont certaines se passaient en ville, de nombreux établissements s'étant mis en grève.

Papa ne sait quoi en penser. Il me rappelle que les forces de l’ordre, appelés flics, condés ou schmitts, sont appointées par la société pour taper sur les manifestants, il n’y avait qu’é regarder l’ORTF ou écouter la radio.

Et puis il ne bossait pas "comme un nègre" pour que j’occupe mon lieu de travail au prétexte que "l’outil de production appartient à ceux qui produisent"...

A Paris, à Milan, en Allemagne, en Tchécoslovaquie, dans le monde entier, les événements de 68 remettent en cause la nature des sociétés "capitalistiques" : propriété privée à l’Ouest, propriété collectivisée à l’Est.

"Les murs de la cité tremblent, écrivit Marx. Quand le rythme de la musique change".. Et il changeait sacrément ! Woodie Guthrie se fait photographier avec sa guitare et sa guitare "tue les fascistes"...Les protest-songs courent sans se soucier des frontières...

Les plus grosses tempêtes ont une fin. Papa De Gaulle file à Baden Baden, comme il était parti à Londres, il briefe le big boss des Armées et laisse entendre que la gabegie doit cesser. Elle cesse petit à petit après que 10 millions de Français et plus aient bloqué le pays et obtenu des augmentations.

Auu grand étonnement des naïls, débordé par l’ondée insurrectionnelle, le PC, 30% de voix à l’époque, rejoint le camp de l’ordre et stigmatise les lubies hédonistes de la jeunesse bourgeoise. Des élections sont finalement organisées après que plusieurs millions de Français aient défilé pour soutenir le Général contre l’anarchie et le gauchisme. Victoire à plate couture de la droite : la jeunesse, désormais en vacances, est tenue de rentrer chez papa maman.

Bilan quant à moi ? Un désastre ! Alors que je frôle la moyenne (le prof de math m’a mis 0 et quelques autres se sont plaints de mon comportement), je reçois une lettre du Proviseur déclarant, sans conseil de classe préalable, que j’étais "incapable de suivre des études supérieures" et que je ne peux "ni passer en terminale ni redoubler". Constatant que certains de mes camarades, dont un futur inspecteur de police, étaient passés avec une moyenne inférieure à la mienne, je demande à ma mère de prendre rendez-vous. Ca tourne vinaigre. Osant dire pis que pendre de moi devant Mamioou, je me jette sur ledit proviseur et lui claque plusieurs fois l'arrière de la tête contre le tableau noir, ne le lâchant que pour faire plaisir à ma maman horrifiée...

Je reverrai le dit proviseur, socialiste paraît-il, un samedi midi de 1971 devant les Nouvelles Galeries de Besançon. Le prenant par le col j'en profitai pour lui apprendre que j’avais eu mon Bac avec mention et que le 17 que j’avais obtenu en philo était la meilleure de l’Académie. Tremblant, transpirant, il faillit faire sur lui. Sâleté qui, sans l’insistance de ma mère, aurait convaincu mon père de me trouver un boulot dans la pétrochimie, l’amiante et la laine de verre.

(A suivre)

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