LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 69
1984 À BESAC : LA "RETIRADA" ENTRE SALES MOMENTS ET EMBELLIES À LA LUMIÈRE NOIRE DE L'ÉCRITURE ; LES EXPÉRIMENTATIONS DE SAMPANS, LES APRÈS-MIDIS À LA BIBLIOTHÈQUE DE DOLE, LE PACTE AVEC LE PÈRE… BIENTÔT SAINT-NOM-LA-BRETÈCHE, ÉTIENNE-MARCEL ET LA PORTE DE MONTREUIL...
Tout se passe dans la tête de l'ancien directeur de la MJC au terme de la tournée Dee Dee's-Fox au Lux. La semaine s'est bien déroulée, 4000 francs de bénef pour les premiers ; 2500 pour les seconds tous frais payés, gite, couvert, boissons, sauf les bruits pourris qui courent sur quelqu’un. Passons.
Les Dee Dee's sont rentrés à Paris où ils ont émigré depuis quelques mois, un froid sibérien est tombé sur la Comté (record à Mouthe, plus de 41°C), Foucault, Brassai (un ami d'Henry Miller) et Richard Burton s’en sont allés, un attentat manque de peu la Thatcher à Bristol et SOS Racisme naît un an après la Marche des banlieues pour l'égalité.
Morisi ? Il est rincé, blessé, vidé. Tout en jouant les agitateurs en bande, il est sans domicile fixe et sans revenu régulier. Ses journées n'ont ni queue ni tête, il navigue entre les dates des Fox, le Lux, le Chemin des Loups, le Cousty et la rue Chifflet où il a la chance de se lier à Claude Condé, Jean Philippe Massonie et leur labo Mathématique informatique et statistique. Pas de problème, il peut accéder à leurs ordis quand il veut travailler sur "Curriculum Mortis", sa dernière idée.
Une lueur dans cette déshérence : Mlle A,, une fille de la bande à chez Lad, copine de Thierry S., Stéphane S., Maillot, John, Patrick E. et leurs futures épouses, futures ex & maîtresses. A. a de très beaux yeux bleu vert foncé, de la vivacité, de l'appétit et de la sensibilité à revendre. Ce n'est pas le grand amour ( le capitaine est toujours là) mais une belle rencontre et un refuge, un ailleurs tendre avec beaucoup d'humour. Regrettant qu'il traîne en ville trop tard, elle lui prépare des harengs à l'huile, une de ses marottes. !
Ils s'entendent bien, certains dimanches matin sont ravissants, la voisine les gronde, la chambre de son pré-ado est mitoyenne : il croit qu'on se bat.Il faut éviter à tout homme la honte et le ressentiment nous apprend Nietzsche, mais la vérité a bon droit.
En vrai, Morisi devient minable. Il copule plus qu'il ne fait l'amour, il vit dans des conditions hygiéniques proscrites en Confédération Helvétique…
Un matin du côté de la Madeleine, alors que le pont Battant est ´gaujé’ de neige en train de fondre, il s'aperçoit qu'il a perdu ses chaussures et que les chaussettes tricotées par sa grand-mère s’échappent. Il les ôte, les balance dans le Doubs et traverse la ville la tête haute. Flash à la Utrillo. Ne croise personne qu'il connaît mais s'en fout : il assume sa demi-saison en enfer.
Les potes sont là, Martinella, Pedro, Stéphane, Pascal, Étienne Max, les autres. Michel Encarnaçao lui fait crédit au Cyrano, on ne laisse pas les gens le ventre vide. Idem pour Eddy du Chemin des Loups : je marque, on verra plus tard.
Ça ne pouvait pas durer. Il y cette rencontre au CLA et une semaine passée avec une belle Hollandaise dans l’appart' de Stéphane, coeur en or et psy à Novillars. Gentiment mais fermement, elle le pousse sous la douche et le passe à la brosse et au savon, c’est dire...
Si celui que je suis a honte de celui que j'étais ?
C'étaient des moments à vivre. Une plaisanterie comparée à ce que devaient endurer certains : perte d'un conjoint, maladie d'un parent, déchéance d'un ami, came, prostitution alimentaire et ce bruit qui courait d'une MST incurable qui allait faucher les accros à la baise, les homos, les toxicos et les Haïtiens, la faute à un singe vert d'Afrique ou à une manipulation en labo.
J'oublie, il y avait A. et son appartement près du Palais des Sports, Martinella qui m'hébergeait à mi-chemin de France 3 et la fac de Lettres mais également l'Escale et notre équipe de foot.
Ah ! Nos matchs le dimanche quand les taties chaouïas nous apportaient le thé à la mi-temps et saluaient nos buts (nombreux) par des salves de youyous…
Comme ce jour où j'étais arrivé hors d'haleine depuis le centre-ville : douche froide avant le match, reprise de volée de 35 mètres sur un renvoi du gardien, lucarne ! Punaise, ma basket à Velcro s'envole, les embrassades et les ´bravo Mario ´ pendant que je cherche à la récupérer à cloche-pied. Pour finir le correspondant de l'Est demande le nom des buteurs. Hakkar S. -Hakkar - B, Hakkar : M, Hakkar A et Antoloji... Morts de rire chez Lad avec Trinit’ : pour un but d'Antolji, c'était un but d'anthologie !
On ne peut pas survivre au mépris de soi. Je décide d'aller au bout du projet Fox et je saute dans le premier train pour Dole. C'est la honte mais Jack Kerouac habitait bien chez sa mère…
Jean et Janine ont le regard triste mais ils m'accueillent les bas ouverts : je suis leur fils unique. Bon sang, j'avais un bon boulot et comme d'habitude…
Cela arrivera de nombreuses fois. Je me mets au régime sec, je cours autour du village. Je ne me fais pas de cadeau. J'ai pris du poids, de la mauvaise graisse, je toxine dur ; 80 kg, des valises sous les yeux.
Le reste de la journée, je ne quitte pas ma chambre, celle où j'avais réglé son compte à mes oreillons en rentrant d'Angleterre.
Objectif : achever "L'Émirat du tourbillon", réviser, corriger, amender, finaliser ce conte cosmopolite en forme de "bande rédigé", une de mes trouvailles.
Tout en préparant "Curriculum Mortis ´´ l'histoire d’un Belqaçem-Schwartz qui veut écrire les 24 dernières heures de sa vie et les jouer au détail près.
L'idée m'était venue dans le silence d'une nuit d’angoisse à Saint-Ferjeux, rue du Porteau ou au Café du théâtre. Pour me mettre dans la peau du héros qui veut maîtriser son agonie, j'allais jusqu’à simuler ce qu'il voulait vivre. Je passe 72 heures en prison volontaire dans une chambre de 3X3 avec six bouteilles d'eau plate et du pain. Je me lève tous les jours à la minute près, je prends le même nombre de tartines, je remplis mon bol au trait et je prends toujours le même bus, notant les impondérables. Les incidents qui rendent la répétition impossible dans la durée. Mieux ! Je décide de vivre cinq fois la même demi-journée à Dole : auto-stop après le repas, Marche jusqu'à la Bibliothèque du lycée de l'Arc. Étude de la théorie de l'information pendant deux heures. Copie d'un dessin de Rembrandt représentant une jeune femme repliée sur elle. À 16 h 30 pile, tour au Café Central, un café et un verre d'eau. Sortie à 17 heures. Marche par la place Grévy et l'avenue de Landon. Retour par le Tumulus à pied ou en stop, selon. Vivre la répétition pour m'astreindre à une discipline, juguler ma machine à scénarios. Introduire ce vécu dans "Curriculum Mortis" tout en peaufinant l'Émirat le matin de 8 h 30 à 11 h 30.
Un ami de ce temps-là parle de ´rire de son passé’ ou de ´le laisser où il est’. Je préfère le raconter au pluriel, le libérer quand bien même il n'était pas glorieux ; que vient faire la gloire quand on parle de la vie d'un roseau pensant condamné à disparaître par nature ?
Tout cela pour dire que le Morisi de l'automne 1984, ayant achevé le premier jet de son premier roman, propose à son père et à sa mère une réunion de famille. Peppone fronce le sourcil : "Tu es mon fils, Mario, pas besoin de ces simagrées. Tu as besoin de combien pour ton livre ? ´
Papa, dire que nous nous y sommes pris si mal pour nous aimer…
Tu étais fier de moi, tu parlais de mon bac, de ma licence, de mes qualités au foot à tes amis mais tu ne me faisais jamais un compliment. Tête contre tête, Saturne vs Jupiter. Une histoire de rivalité entre phallus et Janine-Gaia contrainte à arbitrer.
Putain, j'ai eu de sacrés parents ! Maman qui envoie une carte postale à Marie pour son anniversaire et l'invite avec la petite-fille que je ne lui ai pas donnée à la maison.
Papa qui passe son blouson, chausse sa casquette, va chez Solvay et trouve un boulot au papa de la petite. Si si, Jean et Janine Morisi étaient comme ça...
Merci le Grand Quiconque de m’avoir convoqué gràce via leur amour…
Mis à jour ( Mardi, 03 Décembre 2024 13:51 )