LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 67
MAI-JUIN 1983 – AMITIÉ, ROCK ET BALLON ROND OU COMMENT DES BISONTINS DE TOUT POIL FONT AMI ET AMI ET SE PAIENT DE FORMIDABLES PARTIES DE RIRE ET DE BONHEUR. EN PARTICULIER LORS D'UNE EXPÉDITION MÉMORABLE AU STADIO COMUNALE DE TURIN POUR VOIR MICHEL PLATINI ET LA JUVE CONTRE LES ANGLAIS D'ASTON VILLA. – SANS OUBLIER LA TOURNÉE DEE DEE'S-DR FOX ENTRE COLMAR ET LE LUX EN PASSANT PAR MONTBÉLIARD, DOLE, DIJON ET LONS LE SAUNIER
Celui qui écrit ces lignes et tous ceux qu'il a été depuis son enfance n'ont jamais eu la moindre idée de ce qu'était l'ennui, cette neurasthénie issue du sentiment que rien ne se passe ni se passera, cette hypnose douloureuse de se sentir seul avec soi-même et de n'avoir rien à se dire.
De la colère, de la frustration, de la discorde, du ressentiment mais pas d'ennui. De la fraternité, au contraire, grâce aux amis de la rue Gama, de la fac de Lettres, de la rue Pasteur ou de l'Escale.
Ville de Province éloignée de Paris dans les Marches de l'Est, Besançon était (est encore ?) la capitale d’une "Franch'County" qui grâce aux flux migratoires de l'après-guerre, à son université et au Centre de linguistique appliquée, un référence internationale, regorgeait de citoyens du monde comme en témoigne la présence musicale de Pach Diawara (Pach and the Devils), un des seuls punk rocker reggae noir à notre connaissance, les premiers groupes de raï, des formations antillaises outre que le Ness, l'Anglais de On Edge, une des valeurs sûres du pub rock de cette époque.
Citoyens du monde, université, une scène musicale débordante de vitalité, mais également l'amour du foot, car foot et rock (Rod Stewart, Elton John, Celentano), foot et reggae (Bob Marley) faisaient bon ménage y compris parmi les hooligans britanniques qui deux ans plus tard allaient endeuiller le Heysel lors de la finale de coupe d'Europe à Bruxelles (Juve-Liverpool, des centaines de morts et de blessés).
L'idée vient d'un peu tout le monde. Platini est le meilleur joueur du monde avec Maradona, il illumine le jeu de son omniscience et de sa vision du jeu, or Turin ça n’est pas si loin que ça de la rue Pasteur. — "Mario, tu ne pourrais pas nous trouver des places, il y a Juve-Aston Villa en demi-finale de la Coupe d'Europe dans un mois... le 16 mai 1983 exactement ?"
Il peut mais pour cela il doit contacter le mari de sa cousine Lucia, Georges Cogny, un des plus célèbres chef-cuisinier d'Italie, un Français de Bourges formé à la Rôtisserie de la Reine Pédauque à Saint-Germain-en-Laye.
Georges est bien placé, il reçoit Berlusconi et la fine fleur des industriels du nord de l'Italie – "Il te faut combien de places ?" – Une bonne vingtaine Georges."
La nouvelle que nous allons voir jouer le roi Michel fait le tour de notre petit monde comme une traînée de poudre. Ont réservé : René Guibard de chez Lad' et son pote Charlot ; Amor et Lazare Hakkar ; Schnaeblé et sa Lulu ; Thierry S, kiné, et Maillot, infirmier psy ; John, DRH à la Caisse d'Épargne, Trinit' et Bottom, les stars du rock ex-punk, Jean-Michel Martinella, prof de lettres et fan du père Ubu, ainsi que quelques autres.
Se forme une caravane de cinq ou six voitures : rendez-vous au rosé-croissant à 8 heures de mat' et roule ma poule jusqu'à la frontière suisse où le faits-diversier Schnaeb, futur Pottecher de France-3 Besançon, abandonne sa tendre et douce qui a oublié ses papiers !
La route est joyeuse, on se perd en chemin mais on se retrouve au Stadio Comunale avec 60 000 excités que la pluie battante ne calme pas. Formidable soirée que l'immense Michel agrémente de deux buts, 3 à 1 (Platini-Tardelli-Platini). Que du bonheur ! - Les Italiens qui tapent sur l'épaule de nos Bisontins disséminés un peu partout dans le stade. Les retrouvailles d’après-match dans la cohue, Charlot qu'on retrouve trempé et subclaquant dans le déluge (René et lui ont préparé une Thermos de blanc cass' pour ne pas manquer...).
Ah... le repas chantant dans une pizzeria déchaînée, le journal avec le reportage du match qui arrive sur nos tables une heure après le coup de sifflet final ! Des bastons près de la gare pour cause de hooligans. Le retour en ordre dispersé, John pris dans un échange de méthane entre Bottom, Trinit' et votre serviteur.
Une autre équipée marquera ces années-là : la tournée mise sur pied par Morisi et Luigi U., conscrits en licence de philo dix ans plus tôt. Situationniste et karatéka, amateur d'art contemporain et de performances, Louis est le manager des Dee Dee's, leur tonton, leur parrain.
C'est lui qui donne l'idée à Morisi de s'occuper des Fox comme il le fait avec Bottom, Blanco, Tronchet et Volta : Fini 68, continuons le combat sur la vague née en 1977. ´No future ´ en lieu et place de ´Changeons le monde !
À la sauce bisontine, les pionniers se sont affinés, ils ont appris à jouer, ils donnent dans la tierce et la quinte diminuées, ils chantent "S'il n'en reste qu'un, nous serons celui-là" tandis que les purs et durs s'égosillent en mode garage au 37.
Je suis les conseils de Louis, je participe aux répètes des Fox au Bastion, je suis cul et chemise avec ces gais lurons que sont Michou (Rabelais gouailleur), Post (Buster Keaton cool) puis Lemmy (Bon sens tendre), Mémèd (gaffeur aux paupières lourdes), Duduche (Iznogoud on the rocks) et Trinit' (Pierre Dac, Benny Hill et calembours à tous les étages). Quand j’y pense, que serais-je devenu sans leur amitié à ce stade de mes Mariemontagnes...
Dans mon bureau me vient une idée. Je prends mon téléphone, j’use de mon statut de directeur et je décroche un concert près de Colmar. Puis à Montbé dans une salle estampillée rock. À Dole au Centre d'action culturelle , à Dijon je ne sais plus où, à Lons au célébrissime Café du théâtre, le fief des Infidèles de Jean Rigo, au Lux pour terminer en beauté.
Louis U. me donne un fier coup de main, il est l'assurance pour les participants que la tournée c’est du solide. Nous travaillons sur le prévisionnel, nous demandons un devis à Trafic Music et nous enrôlons un autre Gilles, le sonorisateur favori des Dee Dee's.
Patrick H, qui habite chez moi, a une Mercédès vintage et une formidable collection de dvd rock, il est ok pour véhiculer du monde.
Ballersdorf ! C’est une caravane façon Blues Brothers qui débarque dans une auberge bondée transformée en maison de fous. Une pluie de rappels, des ovations, même s’il y a un hic lorsque Luigi va collecter notre cachet, le patron ayant retranché les consos, on doit du fric et on se sauve ! La suite est épique, les nuits d’après concerts dans la veine fichument rock !
Les Fox font la première partie des Dee Dee's mais les Bisontins sont mal vus à Montbé. Quelle bordée de sifflets quand Mémèd, pas revenu de la planète Zorg, entame ‘Down to the Doctors’ avec une guitare désaccordée et pour cause, il a monté un si à la place d'un mi, forçant Tronchet à lui arracher sa gratte et à la remplacer par la sienne accordée ! Tête de Trinit' qui se bouche les oreilles et chante faux, tête de Lemmy qui est a deux doigts de débrancher son ampli et de lui mettre une rouste.
Il faudrait un docu-fiction pour raconter ces 9 jours de tournée : les 500 francs disparus de la caisse â Dole et le bruit que c'était Morisi le responsable, déjà accusé d'avoir détourné la moitié du sponsor bière pour les affiches...
On rigole beaucoup, on s’aime mais il y a les chicaïas autour du sonorisateur soupçonné de favoriser les Dee Dee's, sous l'influence de leur manager parisien, un dadais qui insistait pour que Bottom, le boutonneux et Blanco le castagneur adoptent le concept d’insouciance... Mais surtout ne prennent pas l'apéro avec Trinit', leur pote d'enfance...
Les Fox lui faisaient du souci, au gandin parigot, ils jouaient de mieux en mieux et leur section rythmique (les sax de Christian Fridelance et de Salva Maugeri) apportait un plus. Les Dee Dee's en tête à Ballersdorf, Montbé et Dole, égalité à Dijon et à Lons, triomphe des Fox au Lux grâce à la claque venue de l'Escale et de Radio Sud ; Aaah, Gilles Trinita entonnant le "Preghero" ("Stand by me") de Celentano : '' Io t'amo, t'amo, t'a-a-mo, o-o, quest'è'l primo segno, o-o..." Evviva, tout le monde debout !
Quel con tu as été Bouli, de ne pas croire en toi et d'avoir cédé à la facilité, cher foutu Corse, va...
Mis à jour ( Mercredi, 27 Novembre 2024 08:20 )