LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 62
AUTOMNE-HIVER 1982 – VICTIME DE SA MULTIPLICATION INTERNE ET DE LA FIN DES MARIEMONTAGNES, LE DIRECTEUR DE MJ PAR AILLEURS MANAGER DE DR FOX, NOCTAMBULE ET INSOMNIAQUE, S'EN REMET À L'ÉCRITURE POUR SAUVER LES MEUBLES, ET JETTE LES BASES DE "L'ÉMIRAT DU TOURBILLON", PREMIÈRE PIERRE DE CE QUI DEVIENDRA SA "COMÉDIE ÉCLATÉE" OU COMMENT UNE SAISON EN ENFER PEUT PRÉPARER UNE MOISSON...
"Qui est Mario Morisi ?" titrera France 3-Bourgogne-Franche-Comté en 2016 lors de la sortie de son roman, "Kerguelen, peintre soldat ?" J'aimerais le savoir moi-même, a fortiori concernant le modèle 1982/83. Probablement plusieurs personnes cohabitant dans la même enveloppe classée par l'INSEE – 151017505101013.
L'idée n'était pas de moi mais des philosophes psychologues français du début du XXe siècle ; selon eux nous abritions des personnalités multiples gouvernées par une personnalité principale qui pouvait changer avec le temps. Avant Freud et ses pulsions, son instinct de vie et de mort, ces penseurs imaginaient le Moi comme la résidence de "personnes" diverses qui s'alliaient et se combattaient tout au long de nos vies.
Naturellement, l'idée plaisait au Morisi auteur qui avait pris des notes sur les chantres du "multiple indéchiffrable" qu'étaient à ses yeux Démocrite, Nietzsche et Deleuze dont les "Mille Plateaux" l'avait enivré.
D'où ce carnet griffonné chez Gugu, le légionnaire qui tenait le Petit Bar avant qu'il ne devienne un haut-lieu de la boucle intello mais popu. Des notes largement mégalos, il faut le dire : il y avait eu la ‘Divine Comédie´, la ´Comédie Humaine´, pourquoi ne pas se lancer dans une ´Comédie Éclatée' ´autour de l'idée des peuples intérieurs et d’un Homme éclaté comme il y avait eu 'l'Homme foudroyé' de Cendrars, que Morisi venait de découvrir ; Cendrars, l'aîné et un modèle d'Henry Miller.
Quand le Morisi 82/83 rentrait dans son T-2 à Saint-Ferjeux, il était rarement seul
il y avait avec lui le directeur honteux d'arriver le matin au bureau avec la gueule de bois, le footballeur raté que les Chaouïs de l'Escale voulaient recruter, le parolier en anglais et en italien qui noircissait des carnets de paroles qui ne seraient jamais chantés, le don juan de bas-étage qui prenait des vestes avec les filles qui l’attiraient et le remorquait par défaut à la fermeture, l'amoureux éconduit qui pleurnichait sur son sort, le papa avorté ; et le fils prodigue qui donnait des nouvelles à ses parents quand il avait le temps.
Il y avait heureusement l'écriture. Celle de la "Traversée des Mariemontagnes", deux centaines de feuilles volantes tachées de vin, de sauce tomate, de moutarde et de sécrétions diverses, et une tentative dont le titre avait surgi comme une évidence : "L'Émirat du tourbillon", l'histoire d'une ville oasis tentaculaire perdue au cœur d'un désert de millions de kilomètres carrés et composée de Contrades, c'est-à-dire de quartiers à la manière de Sienne.
L'histoire commence à la veille du "Palio-el-Mout'" (la fête de la mort), rite périodique où chaque quartier sélectionne un concurrentqui doit survivre à un tour de la ville parsemé d'embûches souvent mortelles. La prophétie déposée à l'Évêché laïque, l'assure ; c'est lors d'un Palio que les Fils de l'Erg, l'ennemi héréditaire tapi dans l'immensité désertique, surgira pour anéantir Gynople (la Ville-Femme) et la précipiter dans un abysse d'oubli éternel.
Ce qu'Umberto Eco désigne sous le nom d’idée séminale est lisible : "Gynople", la ville-femme (Besançon ?), est bordée tout entière par le Fleuve "Ogynein" (le Doubs ?) dont les eaux rendent stériles ; elle est adossée à une falaise longue de plusieurs dizaines de kilomètres (le premier plateau ?) et coupée en deux par une Faille, la Brêche, (empruntée à la topographie de Constantine) qui scinde la ville en deux. Les Contrades se nomment du centre vers la périphérie : Gamla Stan où se trouve l'Évêché laïque, Florissa, le centre historique, Lido, le quartier des jeux et de la luxure, Ezbath et Shitanyya, les contrades mystiques coupables d'avoir mis Gynople à feu et à sang, Campos, Abajoze, Sumaton, la zone asiatique ; Bidong, la Contrade périphérique où les "manards" travaillent 18 heures sur 24 et produisent le nécessaire : enfin Saint-John-Académos, la cité des Sciences dont le mégalithe monumental défend l'accès de la piste qui conduit de tous les "nul part" à Gynople.
L'histoire, racontée par un "viaggiateur" (un explorateur des œuvres de l'esprit), commence par la consultation de vingt et un arcanes (ia vingt-deuxième manque) qui vont se mettre en jeu au fil de la lecture. Un algorithme (si si, vingt ans avant...) en vortex 21 arcanes, 5 grands livres, 3 bibles et la chute, qui voit la disparition de la ville sous les yeux du viaggiateur, un Heraldo Belqaçem-Schwartz qu'on retrouverait souvent par la suite....
Bien beau tout ça, mais de l'idée à la sortie du livre, se passeraient trois longues années ; des années de tourment (et de fous rires) au bord du précipice. Vous l'aurez compris, le gars à l'haleine du pingouin et aux yeux bouffis qui arrivait à son bureau chaque matin, n'était pas ce qu'il y avait de plus rassurant pour les braves gens de l'éducation populaire et de la bienséance… Qui aurait pu les en blâmer ?
Mis à jour ( Vendredi, 15 Novembre 2024 21:30 )