AUTOMNE 1982 - ILS S'APPELAIENT TRINIT', BOTTOM, TRONCHET, BLANCO, MÉMÈD, POST, PT'IT MICHE, TOTO ET CONSORTS ET ILS ONT CHANGÉ LE COURS DE LA VIE DU DIRECTEUR DE MJ MORISI

Étant né huit, dix ans avant eux, je ne les connaissais pas au moment de renouer avec la Boucle. Point commun : un esprit rebelle né du mouvement punk et l'amour du rock, du vrai, le rock de base à quatre : batterie-basse-guitare(s) et chant, ou à trois comme les Dolly Thugs de l’énigmatique Anglais.

Mais il y avait aussi les Petites Gâchettes de Pontarlier, les premiers Infidèles à Lons, et partout des purs et durs du rock 'n blues façon Dr Feelgood, The Inmates, les London Cowboys, les Shakers, Little Bob et sa Story de Rouen. Mention spéciale à Bijou, la source d'inspiration de pas mal de groupes dans le coin.

J'avais manqué la vague Transmusicales à Rennes (je vomissais Daho et les pommadés de la new et de la cold wave façon ´lumières vertes et joues creuses’ à la Nouvelle France de Dijon).

Tout cela était la faute à Ivinho di Agogo qui, en six mois de vie en commun, m'avait initié à toutes les ziques brésiliennes : bossa, batucada, choros, chorin, musiques nordestinos, et m'avait rendu accro à Baden Powell, Djavan, Toquinho, Chico Buarque, Stan Getz, Jobim, Gil, Ben, etc.

À Besac, rien de tout cela si ce n'est dans les parages du CLA et de ses missionnaires du FLE en vadrouille.

À Besac, c'était du pur et dur, un rock venu du garage et du punk, avec une forte composante blues.

 

Le premier de mes jeunes amis à avoir passé la frontière invisible de nos habitus (un coucou à Bourdieu) fut Patrick Gérard, dit Bottom (une allusion à ‘Black Bottom’ des Troggs, je crois).

Un jour d'été alors que je traînais avec mon burnous en poil de chameau, le bouffi se paie ma fiole en passant ad lib. le "On n'a pas de pétrole mais on a des idées" de Sardou. Je résiste devant ma mousse puis je craque. Je prends l'insolent (un blondin au visage couvert d'acné) par le col et je commande une tisane à René que je l’invite à boire. Incrédule il s'y emploie et s’en retourne à son fan-club.

Tout se passe chez René et en face au Globe, au Yam's ou au Petit Vatel, le cœur pulsant des zincs de l'époque avec l'Annexe des Aviateurs (le fief des mods et des michetons), le Chemin des Loups près du marché (le haut-lieu, le musical 5-Etoiles) et le Cousty (sur la route de Dole, pas donné mais avec de la musique live et des nanas De Luxe, auxquels il fallait ajouter le Blue 37, rue de Belfort. Une scène musicale intense qui proposait une vingtaine de concerts par semaine, avec comme cerise sur le gâteau, le Lux, cet ex cinéma paroissial devenu le Royal Albert Hall de Besac avec à l'affiche Téléphone, les Rita Mitsouko, Trust et tutti quanti.

Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec les goûts musicaux du CA, très chanson française propre sur elle, musique classique, à la limite jazz et folk, pour la majeure partie.

Je n'exagère pas en estimant aujourd’hui que le rock et les rockers ont préservé le Morisi d'alors d'une dépression, car je n'en pouvais plus des réunions sans fin où il fallait laisser la parole à de braves gens qui défendaient leur vision du monde et en excluaient, sans penser à mal (spam...), les pas-comme-il faut, les trop sales, les trop pauvres, les trop gitans ou les pas assez français en prétendant le contraire.

Chez René, ex-Ladreyt, futur Black Hawks, il y avait un jukebox que les clients alimentaient, une merveille qui reflétait les goûts de la clientèle : populaire tôt le matin, lycéenne et estudiantine de 9 heures à 11 heures et demi, total apéro le midi où l'on pouvait assister au déjeuner de René, de Cécile et du serveur, qui s'appelait Michou à l’époque et qui jouait de la batterie avec son ventre et ses moustaches.

heures à tard se succédaient tout le monde jusqu'à l'apéro du soir - à la sortie des cours, du bureau ou du boulot - qui rendait l'accès aux consos plus difficile que celui du métro de Tokyo aux heures de pointe.

C'est là qu'apparut Gilles Trinita, dit Trinit', plus tard ´Bouli ´ - Inscrit en licence d'histoire, il me fait rencontrer son "patron", Claude Condé, docteur en lettres et pionnier de l'analyse de données en littérature avec son avolyte Jean-Philippe Massonie, le doyen de la fac de Lettres, mathématicien atypique homo et rebelle.

Trinit' allait devenir mon copain puis mon ami. Né avec le punk, il était le fils d'un instituteur de chez instituteur : corse et communiste ; par ailleurs amateur de foot (toujours l'ombilic de la balle avec son frère Jean- Marc qui était passé professionnel à Lorient).

Historien, embauché dans le labo Mathématique Informatique et Statistique, mais surtout chanteur !

Un chanteur à la voix de ténor maquillée rauque et blues dans le sillage de son maître Lee Brilleaux, le chanteur de Dr Feelgood !

C'est un mardi de ciné-bouffe consacré à l'Italie (et à un film d'Ettore Scola en v.o.) que le nom d'un groupe va naître. Michou et Trinit', victimes d’un embarras gastrique causé par la polenta et le chianti, posent un renard devant la MJ et le prennent au rebond , ainsi naquit "Dr Fox", groupe qui va courir les estrades pendant une quinzaine d'années animé par la volonté de contester la suprématie des Dee Deés ex Dee Dee and the Hot Dogs dont Trinit' avait été le chanteur avant de monter "Éric Peugeot et ses Kidnappeurs" qui - après avoir risqué le procès avec la famille sochalienne - avait remporte le titre de meilleur nom de groupe de l'hexagone dans ‘Best’ ou ´Rock et Folk’, je ne sais plus.

Ce que le dirlo de la MJC venait faire là-dedans ? Il avait été invité au Bastion, un local de scouts squatté par les rockers, pour assister à une répétition qui le vit griffonner des paroles en italien - dont Trinit', Mémed, Poste et Michou allaentbfaire ´Sono Brutto´: un rock inspiré d’ "Affreux, sales et méchants", le film culte d'Ettore Scola.

Du rock en italien, n'importe quoi ! entendrait-on se plaindre au Chemin des Loups, au Blue ou dans la cave du Globe.

Mauvaise pioche, les blaireaux !

Trinit' et les Fox, c'était Zucchero avant l’heure et une histoire de "Diavolo in me" qui aurait pas mal de conséquences…

Mis à jour ( Mercredi, 13 Novembre 2024 18:17 )