LA VRAIE VIE DE RENAUD OUTHIER
La vie de l’abbé Outhier
Par Osmo Pekonen et Mario Morisi
Sur la « Religion » de l’abbé Réginald Outhier, il n’y a aucun doute : il est un prêtre catholique. Mais qu’en est-il de sa « religion », sa vision du monde plus personnelle, son « langage religieux maternel », pour emprunter une expression chère à Juha Pentikäinen ? Peut-on situer l’homme et prêtre Réginald Outhier dans son temps ? A-t-il participé aux grandes querelles religieuses de son siècle ? Était-il mystique ou rationaliste ? Élève des oratoriens ou des jésuites ? Les indices dans son œuvre sont faibles, presque inexistants. Pour arriver aux conclusions, il nous faut esquisser les circonstances religieuses et politiques de sa province natale, la Franche-Comté.
On a relativement peu écrit sur Outhier. Nous présentons ici une synthèse des informations qu’on trouve dans les dictionnaires de biographies1 et des recherches que nous avons effectuées sur le terrain, même si, dans certains cas, elles ne nous ont pas permis de retrouver les sources premières.
Contexte religieux et politique en Franche-Comté
Partie intégrante de ce que les Habsbourg du Saint-Empire appelaient « le Cercle de Bourgogne » (Burgundischer Reichskreis) et qui comprenait dix-sept états dont les Pays-Bas septentrionaux, la Belgique (Hainaut, Brabant, Flandre, Limbourg) et le Luxembourg, la Comté de Bourgogne fut une enclave de langue « françoise2 » dans une terre essentiellement germanique. Échue aux Habsbourg en 1482 et à l’Espagne en 1549, cette comté « franche » fut un joyau du Saint-Empire romain germanique et une pièce strarégique pour l’accomplissement du rêve de Charles-Quint d’une « monarchie universelle » sous l’étendard de Rome. Les rois de France d’abord, puis les Turcs, enfin les guerres de religion frustrèrent ses ambitions et en empêchèrent l’accomplissement.
À l’heure de la Réforme en Allemagne et en Suisse, les Comtois sont majoritairement des papistes ultramontains, ils vivent le catholicisme à la manière de leurs protecteurs autrichiens et espagnols en bordure de la « lutherrie ». Au comté de Montbéliard voisin, un duc de Wurtemberg banni de ses terres allemandes s’installe en important le culte luthérien ; à Bâle, ce sont les idées d’Œcolampade qui triomphent ; Farel fait irruption à Neuchâtel ; Calvin réforme Genève ; Zürich est réformé par Zwingli. En 1575, Besançon faillit même être pris d’assaut par des protestants. En 1608, se produit à Faverney « Le Miracle des Saintes-Hosties conservées dans les flammes » qui rassure les catholiques et fait de cette abbaye de bénédictins un foyer de la Contre-Réforme (Tournier 1909) où Antoine Pierre de Grammont passe la fin de son adolescence de fils du baron de Melisey (Eberlé).La guerre de Dix Ans (1635–44), épisode bourguignon de la guerre de Trente Ans, apporte dans la région les fléaux de la peste, de la famine et de la misère qui déciment la population. S’y ajoutent la soldatesque, les viols et les pillages des ‘Schwed’ ou ‘Souadais’ du duc de Saxe-Weimar (en fait des Allemands et une minorité de mercenaires suédois enrôlés par Louis XIV) et les hivers d’une rigueur exceptionnelle.
En vertu d’un traité de substitution et d’échange entre la ville allemande de Frankenthal (appartenant au roi d’Espagne) et Besançon (relevant de l’Empire), Cette dernière devient possession de la couronne d’Espagne pour la période 1664–74. La trêve n’est que de courte durée ; en 1668, la ville subit une brève occupation par l’armée de Condé ; les années qui suivent, les administeurs, pour la première fois espagnols, rançonnent la province. En 1674, les Français sont de retour sous la commande du duc d’Enghien. Au terme d’un siège de vingt-sept jours auquel Louis XIV assiste, la ville tombe. Besançon devient la capitale de la Franche-Comté par les lettres patentes de 1677, au détriment de Dole : un grand nombre d’administrations, parmi lesquelles le gouvernement militaire, l’intendance, le parlement ou encore l’université, sont implantées dans la nouvelle capitale. Le Traité de Nimègue (1678) rattache définitivement la Franche-Comté au royaume de France. Louis XIV confie à Vauban le soin de fortifier la ville. Les blessures des guerres se font longtemps sentir, mais la classe bourgeoise comprend bien vite que le rattachement à la France peut apporter une paix durable et LA prospérité qui va avec elle.
Regardons de plus près l’œuvre d’Antoine Pierre de Grammont (Filsjean 1898, Surugue 1930), l’archevêque énergique de Besançon en 1662–98, et de son neveu François Joseph de Grammont qui lui succéda en 1698–1717. Face à la dérive huguenote, les Grammont entreprennent un œuvre de reconquête préventive. Le long épiscopat d’Antoine Pierre 1ee de Grammont est marqué par l’application définitive des prescriptions du Concile de Trente. Il fonde en 1670 le Grand Séminaire diocésain, crée des institutions caritatives et missionnaires, organise des retraites pastorales et des conférences ecclésiastiques, réunit le clergé en synodes, fait imprimer de nouveaux livres liturgiques. « Très ferme dans sa foi et entièrement soumis au souverain pontife », selon Surugue (1930), il s’oppose à la fois au jansénisme et au gallicanisme. En 1682, lors de la promulgation des « Quatre aticles », l’archevêque de Besançon manifeste son mécontentement en étant le seul prélat du pays à s’absenter de la conférence convoquée par le roi.
Dans la rigueur de son orthodoxie, le Séminaire de Besançon devient un des foyers théologiques parmi les plus renommés du royaume. Ce sont les professeurs qui se cooptent entre eux selon le principe du « sodalitium », sans aucune intervention épiscopale ou hiérarchique, sur des critères théologiques et pédagogiques. Par son enseignement et son rayonnement, le Séminaire sert de garant du maintien de la foi catholique en Franche-Comté. L’oratorien Gaspard Juenin, auteur d’un Institutiones theologicae (1694) à l’usage des séminaristes, sera accusé de jansénisme après un prêche donné à Dole. Dans un mandement de 1705, François Joseph de Grammont sera un des premiers à condamner les Réflexions morales de l’oratorien Quesnel. En 1714, la bulle Unigenitus est accueillie favorablement par l’université, les missions diocésaines, les directeurs du séminaire et par la presque totalité du clergé séculier ; il y aura très peu d’« appelants » dans le clergé comtois qui reste fidèle à son archevêque.
Dès 1670, mais encore davantage au tournant du XVIIe siècle, le Séminaire de Besançon met sur pied une petite armée de curés bien formés et fidèles dont la tâche sera de reconquérir et de protéger pied à pied la province des menées protestantes voire jansénistes. Plusieurs obligations sont à nouveau faites aux curés par le successeur d’Antoine Pierre, son neveu François Joseph : n’avoir qu’un seul bénéfice ; vivre dans leur paroisse ; ne pas desservir celle de leur origine ; tenir les registres des naissances, baptêmes et décès en français, tout en surveillant constamment le paysage religieux, mais aussi la situation économique et politique de la Comté ; et en renseignant l’archevêché à ce propos.
C’est un enseignement fondé sur le principe de Saint Thomas d’Aquin sur l’association de la foi et de la raison que l’on dispense au Séminaire de Besançon. Les manuels en usage consacrent de longs chapitres à réfuter les erreurs protestantes et jansénistes afin que les futurs prêtres puissent lutter avec leurs contradicteurs sur le terrain du dogme.
Selon Bordet (1998), les théologiens bisontins présentent des caractères communs et se différencient radicalement des courants théologiques dominants dans la France du XVIIIe siècle. Dans leurs innombrables écrits, ils apparaissent le plus souvent comme ultramontains. Ils lancent l’offensive contre tous ceux qui attaquent le catholicisme, en s’appuyant sur la science, la critique des textes, une connaissance approfondie de l’Écriture et des Pères de l’Église. Mentionnons le jésuite Claude François Nonotte (1711–93) qui sera le grand contradicteur de Voltaire ; avec une pugnacité sagace, ce professeur érudit de Besançon s’amuse à relever dans les œuvres de François-Marie Arouet les erreurs historiques et factuels que l’auteur – par ignorance ou légèreté – a laissé passer par centaines. Voltaire en conçoit de l’irritation ; il riposte, Nonnotte réplique. De ce duel littéraire avec prolongations, il n’est pas certain que Voltaire soit sorti agrandi. Comme d’autres grands noms de l’école de théologie bisontine, il faut retenir Jean-Baptiste Bullet (1699–1775), l’abbé Pochard (1715–86) et surtout Nicolas Sylvestre Bergier (1718–90).
Les origines de l’abbé Outhier
Sous l’Ancien Régime, la figure emblématique du prêtre-savant est en général associée à la Compagnie de Jésus. L’abbé Réginald Outhier n’était pourtant ni jésuite, ni membre d’un ordre religieux quelconque, mais un prêtre séculier. Contrairement à ce qui a souvent été affirmé hors de France, le titre d’abbé qu’il porta n’a donc aucune relation, dans son cas, avec la vie monastique.3
Réginald4 Outhier naquit le 16 août 1694 à La Marre(-Jousserand)5, village du bailliage de Poligny en Franche-Comté. La Marre est un village agricole d’origine gallo-romaine qui se situe sur le premier plateau du Jura aux environs de Lons-le-Saunier. Le paysage est aride. Le sol, formé d’une mince couche végétale repose sur le rocher vif et n’est fertile que les années pluvieuses. Le nom est vraisemblablement tiré d’une grande mare utilisée comme réservoir d’eau, élément fort rare à cet endroit du plateau.
L’acte de naissance de Réginald Outhier a sans doute disparu avec le père Rousselot, le curé de La Marre dès 1667, décédé en 1710. Ses parents – dont on ne peut que supposer l’identité6 – ont pu être domiciliés au quartier le plus important de La Marre, dit « des Outhier » encore aujourd’hui – face à une croix très ancienne dédiée à « Sainte-Anne et Marie enfant » et à la chapelle Saint-Sauveur où priaient ses concitoyens.
Le plus ancien aïeul connu de Réginald Outhier est un certain Claude, né en 1568, mort en 1632. Les Outhier, dont le nom apparaît sur une aire restreinte de chaque côté de Mirebel, mais surtout à La Marre, Picarreau, les Faisses (aujourd’hui : Bonnefontaine), étaient une famille de juristes (procureur, greffiers, avocats) et de nombreux prêtres : Vénérable Jean Outhier7 ; Jean-Charles, capucin à Poligny ; ainsi que de plusieurs religieuses dont on trouve la trace dans les factums de la ville de Poligny. On note par ailleurs sur les registres de Poligny l’importance d’un Sr Jean-Charles Outhier, cousin au quatrième degré des Outhier de La Marre et bourgeois de la Ville, qui postule à la charge d’Avocat Royal. La famille Outhier joue donc un rôle important dans une région dévastée qui renaît et se reconstitue sous la férule des subdélégués de l’Intendant mis en place par Louis XIV, puis par la Régence et sous Louis XV. Au point de s’attribuer un blason absent des armoriaux de la noblesse ; portant d’ « azur au chevron, accompagné de trois étoiles, celle en pointe soutenue par un croissant, le tout d’argent » ; tandis que les membres ecclésiastiques de la famille semblent avoir introduit leurs propres variations héraldiques dudit blason.
Les localités franc-comtoises les plus importantes dans la vie de Réginald Outhier furent La Marre, Poligny, Dole et Besançon ; on le sait puisqu’il les a tracées lui-même sur sa carte d’une partie de l’Europe contenu dans son « Journal ». Il aurait appris à lire, à écrire, à chiffrer et à chanter le latin auprès du curé Rousselot ou d’un de ses vicaires. Il fit ses premières classes sans doute dans ce qui allait devenir le Collège de Poligny8, puis à Dole, probablement chez les jésuites du Collège de l’Arc9. Ayant eu la vocation sacerdotale, il fut admis au Grand Séminaire de Besançon en 1714, avec la possibilité originale pour l’époque de vivre en externat durant trois des quatre années que durait les études rue Saint-Vincent. Il fut ordonné prêtre10 probablement lors d’une de ces cérémonies d’ordination collective qui avaient lieu après une retraite à la fin de décembre.
Après une période où on le voit apparaître en tant que « ecclésiastique » sur les registres de sa ville natale et où il aide sans doute le curé en charge (1718-21 X – Archives Départementales du Jura 5 mi 142), il est nommé vicaire à Montain11, une paroisse éloignée d’une vingtaine de kilomètres de La Marre, comprenant, outre Montain, les villages de Lavigny, du Pin et du Louverot. Dans les anciens registres paroissiaux déposés aux archives départementales, c’est le 22 janvier 1722 qu’un acte porte pour la première fois la signature du vicaire Outhier. À partir de cette date, il prend part régulièrement à leur rédaction. Le 14 mai 1730, il rédige et signe seul un de ces actes, et le 20 du même mois, l’acte de décès de son curé, le père Claude Chevillard (en office 1700–30). C’est à cette date qu’il devient administrateur de fait de la paroisse. Le dernier acte signé de sa main est en date du 16 juillet 1731 ; le suivant, daté du 7 août, l’est par le nouveau curé Jacquemet seul, et à partir d’avril 1732 apparaît le nom d’un nouveau vicaire. Richard, dans son mémoire de 1926 écrira : « Sa signature est très lisible, d’une écriture nette et régulière, sans autres ornements qu’un trait séparé, vigoureusement tracé, la prolongeant ou la soulignant ; si l’on en croit la graphologie elle dénoterait un esprit réfléchi, méthodique, très pondéré, bien que non dépourvu d’imagination, et aussi un caractère prudent et loyal. » Une lettre d’Outhier signée à La Marre le 16 mars 1732 est également connue (collection privée).12
C’est en assumant la vocation de prêtre de campagne qu’Outhier entama ses importants travaux en astronomie et en horlogerie qui, depuis la fin du XVIe siècle, est une des fiertés de cette portion de la Franche-Comté. En 1726, il dressa le plan d’un « globe mouvant » où le mouvement diurne et le mouvement annuel du soleil ainsi que les mouvements des nœuds de la lune se trouvaient figurés. Le globe fut exécuté par son ami horloger Jean-Baptiste Cattin13 et présenté à l’Académie Royale des Sciences en 1731 (Outhier 1735a-c). L’objet fut reçu avec l’éloge suivant : « Quoiqu’il y ait déjà plusieurs ouvrages dans ce goût-là, on a trouvé que celui-ci était très ingénieusement imaginé, que quelques dispositions nouvelles, celle, par exemple qui regarde les phases de la lune et ses latitudes, le rendaient simple, et donnaient une idée avantageuse de l’intelligence et de l’habilité de l’inventeur. » Monnier (1828, p. 288) ajoute l’anecdote suivante : « L’abbé Outhier ayant porté ce globe à Paris, fut admis en 1732 à le présenter au Prince qui lui témoigna le désir de l’acquérir, et qui le pressa de lui dire quel prix il y mettait. Notre abbé qui ne savait pas que l’on ne vend rien au Roi, au lieu de lui faire hommage de son travail, eut la maladresse d’en fixer la valeur à quelques louis. La somme lui fut comptée ; et, par cette vente irréfléchie, le mérite de l’inventeur disparut sous le salaire de l’artisan. »
Il y aurait beaucoup à dire si l’on entrait dans le détail des travaux scientifiques ete des innovations technologiques de l’abbé Outhier, mais pour les besoins de cette étude, nous en ferons largement abstraction. En l’occurrence, il serait plus intéressant d’avoir une idée précise de ses opinions théologiques mais les informations à ce sujet nous font défaut. Car si Outhier n’était pas un simple curé de campagne, nous ignorons s’il avait, par exemple, une opinion ferme sur le jansénisme ou s’il a participé à la querelle entre gallicans et ultramontains. Comme nous le soulignions, la Franche-Comté, parce qu’entourée par des territoires gagnés à la Réforme et riche de ses liens avec les Habsbourg, était foncièrement « papiste », c’est à dire antigallicane et ultramontaine. Si Outhier a été un élève des jésuites à Dole, il a sans doute été marqué par leurs opinions : il aurait donc été antijanséniste. Il avait 19 ans lors de la promulgation de l’Unigenitus qui provoqua des scènes de révolte à travers le royaume. Il y avait un mouvement des « appelants » notamment aux diocèses de Paris, Châlons, Tours, Senez et Auxerre ; la région lyonnaise fut touchée, mais pas la Franche-Comté. La querelle ne l’empêcha pas d’entrer au Séminaire l’année suivante. L’impression qui se dégage de la lecture de son « Journal » est – par-dessus tout – celle d’un prêtre-savant scrupuleux dans son travail scientifique, consciencieux dans ses devoirs religieux, ni mondain ni dévot ; sans doute peu enclin aux empoignades théologiques ou aux disputes métaphysiques. Outhier a du être mesuré dans ses prises de position ; comme hypothèse, on peut supposer qu’il fut comme Mg Paul d’Albert de Luynes, son futur protecteur, un « feuillant » (X), autrement dit un antijanséniste modéré.
La carrière scientifique
Pour en revenir à la chronologie, le 1er décembre 1731, alors qu’il est encore en poste à Montain, l’abbé Outhier est invité en tant que membre correspondant de Jacques Cassini à l’Académie Royale des Sciences. Celui-ci essaye de le retenir en le chargeant de la levée des plans et des calculs des triangles pour la Grande Carte de France, mais il se soustrait à cette tâche. En 1732, il propose une « manière de perfectionner et rendre égal le mouvement des pendules à ressort » (Outhier 1735d). L’année suivante, il contribue, en tant que géomètre, au calcul de la perpendiculaire de la méridienne de Paris pour la partie comprise entre Caen et Saint-Malo. À partir de 1732, sur les conseils de Cassini, il devient secrétaire près l’évêque de Bayeux, Mgr Paul d’Albert de Luynes, astronome et physicien éminent lui aussi.14 Le 21 avril 1736, l’abbé Outhier est candidat, en même temps que le jeune Le Monnier, au poste d’adjoint géomètre de l’Académie. C’est par une lettre de Maurepas, le Secrétaire d’État à la Marine et à la Maison du roi, datée du 23 avril que l’Académie apprend que le roi a choisi Le Monnier, premier sur la liste. Après cet échec, Outhier ne se représente plus. (Badinter 1999, p. 77)
En 1736–37, sur la demande du comte de Maurepas et avec le consentement chaleureux de son évêque15, Outhier participa à l’expédition de Maupertuis en Laponie, « quoique prévenu contre le climat des pays du Nord ». C’est dans cette circonstance que la personnalité d’Outhier s’affirma avec éclat. Observateur précis et rigoureux, il travailla aux côtés de Maupertuis dans des conditions parfois extrêmes et il fit preuve de qualités physiques remarquables. Supportant avec la même sérénité la chaleur de l’été et le froid polaire, il contribua très largement à la réussite de l’expédition. Le roi ayant gratifié plusieurs membres de l’expédition, y inclus Celsius, d’une pension16, Maupertuis s’indigna en entendant qu’Outhier était d’abord dépourvu de cette faveur. Il alla voir le cardinal Fleury ; lui déclara qu’il préférait renoncer à sa pension plutôt que de voir Outhier sans récompense. Le cardinal fit donner à Outhier « une pension de douze cents livres sur une abbaye, dont le supérieur lui écrivit très honnêtement, avec promesse de lui faire mettre la somme tous les ans exactement, et sans frais » (Charma & Mancel 1857, vol. II, pp. 21–22).
Outhier était un éminent cartographe, comme en témoignent les cartes qu’il a réalisées à la volée pendant son voyage. Arpenteur infatigable, il leva des plans de villes, de villages, de fermes en marge de travail scientifique de l’expédition proprement dit. Il manifesta cet appétit de découverte tourné vers la nouveauté quelle que soit son domaine d’appartenance. Il était un précurseur dans un domaine qui n’existait pas encore : l’ethnographie.
En 1736, Outhier publia sa Carte topographique du Diocèse de Bayeux (1 : 130 000) – avec en cartouche : « Plan et environs de la ville de Bayeux » (1 : 10 000) et « Plan de la ville et faubourgs de Caen » (1 : 10 000) – et, en 1740, une carte topographique du Comté d’Ons-en-Bray et des seigneuries qui en dépendaient (1 : 25 000). L’archevêque de Sens, Mgr Jean-Joseph Languet de Gergy17 lui passa commande d’une carte de son archevêché qu’il dressa aussi et qui fut imprimée à Paris en 1741 (1 : 18 000). Il réalisa également un plan de la ville et des faubourgs de Sens (1741) (1 : 10 000) et un plan du château de Fontainebleau (1741). En 1742, Outhier présenta à l’Académie des Sciences un odomètre18, soit un instrument qui, en arpentage, sert à mesurer les distances par le chemin qu’on a parcouru. Son odomètre avait cet avantage technique particulier que son aiguille reculait en même temps que le marcheur, de sorte que l’odomètre pouvait décompter la longueur exacte de ce que l’on voulait mesurer en retrranchant la distance lorsqu’on revenait sur ses pas (Article D’Alembert dans l’Encyclopédie).
En 1744, il publia son célèbre Journal d’un voyage au Nord qui est l’objet principal de notre étude. Et deux ans plus tard, en 1746, Maupertuis l’invita à venir travailler à Berlin, mais il ne put accepter pour des raisons personnelles. Il fut néanmoins élu membre de l’Académie de Berlin le 23 mars 1747. Dans une lettre adressée à Maupertuis et datée du 30 novembre 1748 à Berlin, Leonhard Euler considère Outhier comme un faiseur de lentilles et un spécialiste de l’optique. Comme astronome, Outhier dressera plus tard une carte des Pléiades où il détermina, sur les observations de Le Monnier, son compagnon de voyage en Laponie, la position de trente-cinq principales étoiles de cette constellation. (Outhier & Le Monnier 1755)
Il occupa la fonction du secrétaire de l’évêque jusqu’en 1748, année où il reçut (le 8 septembre) de son prélat collation du canonicat et de la prébende du Locheur19. Chaque année se tenaient à la cathédrale de Bayeux deux chapitres généraux, l’un en février, après la Purification, l’autre en juillet, le lendemain de la fête des SS. Raven et Rasiphe. Tous les dignitaires, chanoines, chapelains et officiers devaient y comparaître en personne. Selon les registres diocésains, l’abbé Outhier est porté présent à toutes les réunions, de février 1749 inclus à juillet 1764. (Richard 1926)
L’abbé Outhier et son protecteur Paul d’Albert de Luynes, devenu successeur de Languet de Gergy à l’archevêché de Sens en 1753, collaborèrent étroitement pour faire avancer les sciences. Le palais épiscopal qui joint à la cathédrale prenait des airs d’observatoire. Les deux ecclésiastiques publièrent auprès de l’Académie des Sciences un grand nombre de travaux astronomiques ou dans d’autres domaines (Outhier 1744b, 1745, 1750, 1755a-e, 1763, 1764a-c ; d’Albert de Luynes 1763, 1764, 1767, 1768, 1772, 1773). Outhier traça dans la bibliothèque de l’évêque une grande méridienne avec des lignes qui marquaient les heures avant et après midi, de cinq en cinq minutes (Martin 2000, p. 44). Il acheva également une méridienne à l’abbaye aux Dames de Caen, déjà commencé par Cassini et Maraldi (Charma & Mancel 1857, vol. II, p. 22). De surcroît, il calcula quelques almanachs pour le méridien de Bayeux (Outhier 1751–55 ; Pluquet 1829, p. 600).
En 1733, Outhier avait été élu membre de l’Académie Royale des Belles-Lettres de Caen (fondée par Moisant de Brieux en 1652) ; mais en 1754 il donna sa démission et fut nommé « académicien vétéran ». Déjà correspondant de Cassini de Thury à l’Académie Royale des Sciences, il a été associé de quelque manière aux travaux de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon (fondée en 1752), mais rien n’indique une nomination formelle. C’est par la relation de l’abbé Outhier que le marquis de Montrichard, de l’Académie de Besançon, pris connaissance de l’orge de Laponie qui est très résistant au froid (Cousin 1954, p. 89). À noter qu’Outhier est jusqu’à la fin de sa vie identifié comme « prêtre du diocèse de Besançon ». Il a en tout cas maintenu des liens intellectuels avec cette ville ; puisqu’il offre un exemplaire de son « Journal » à la bibliothèque du Grand Séminaire de Besançon avec le dédicace « Seminarii bisuntini dono autoris ».
Le cas d’un abbé savant comme Réginald Outhier est remarquable, mais pas unique. De nombreux abbés atteignirent la dignité d’académicien sous l’Ancien Régime ; et au moins neuf – par exemple l’abbé Bergier de Besançon – contribuèrent pour l’Encyclopédie.
La fin de la vie
En février 1765, au chapitre de Bayeux, Outhier est dit infirmus et depuis juillet il y a un nouveau chanoine du Locheur. C’est que le 28 septembre 1763, l’abbé Outhier – « infirme de corps à cause de son âge avancé et toutefois sain d’esprit et d’entendement » – avait donné procuration pour résigner « entre les mains de Notre Saint Père le Pape, Mgr le Chancelier ou tout autre » ses canonicat et prébende en faveur du Sieur René d’Etreham, sous la réserve d’une pension et rente viagère de 700 livres, à prendre sur le plus clair des revenus du bénéfice. Or, Rome n’accepta pas cet arrangement car il manquait au dossier du prétendant un certificat de bonne vie et mœurs, saine doctrine, et d’idonéité20 et capacité à posséder les bénéfices ecclésiastiques. Un litige tortueux qui opposa Outhier et d’Etreham s’en suivit ; c’est seulement le 28 mai 1765 que le transfert eut définitivement lieu.
Voici un résumé du litige donné par Richard (1926) dans lequel on trouve des références plus complètes aux archives de la Bibliothèque du Chapitre de Bayeux (ms 122, 269, 278, 279).
Pierre Rouault, expéditionnaire en Cour de Rome, envoya le 3 octobre 1763 la procuration à son correspondant romain. Celui-ci, le 19 avril octobre 1763, lui fit savoir que le dossier était incomplet, tout en faisant remarquer que cette exigence était contraire à l’article 47 des traditionnelles libertés de l’Église gallicane. Sieur d’Etreham avait des ennemis car, clerc tonsuré, il avait été pourvu par le Pape d’une des douze portions de la chapelle de Notre-Dame en l’église cathédrale et cette portion lui avait été contestée. C’est peut-être sur les suggestions des détracteurs d’Etreham que l’abbé Outhier, s’étant ravisé, profita de l’incident de procédure pour, par un acte notarié, en date du 12 décembre 1763, déclarer d’abord que, les raisons qu’il avait eues de résigner son canonicat ayant disparu par le raffermissement de sa santé, il regrettait la procuration qu’il avait donnée à cet effet, et notifier, en même temps, ces regrets à l’évêque et au Chapitre. Le 23 mars 1764, Sieur d’Etreham, aussi par ministère de notaire, répliqua que cet acte de regrets n’était ni légitime ni fondé, Outhier n’ayant jamais connu d’autre infirmité que des douleurs momentanées de rhumatismes et jouissant, le 28 septembre, lorsqu’il avait donné sa procuration, de la même santé qu’aujourd’hui. Ce qui le prouvait c’est que ce jour-là il avait assisté au service de la cathédrale, que c’était en revenant des vêpres qu’il avait consenti cette résignation et que, pendant que lui, d’Etreham, portait l’acte au Bureau du Contrôle, Outhier alla, vint et se promena dans la maison qu’il bâtissait à Bayeux, en faisant visiter les constructions au notaire. En même temps, d’Etreham se pourvoit devant le Parlement de Normandie où il en appelle, comme d’abus, du refus opposé par la Cour de Rome. Cet appel est reçu avec empressement puisque les libertés de l’Eglise gallicane sont en cause, et, par un arrêt du 9 avril 1764, il est permis à l’appelant de prendre possession civile du canonicat. Porteurs de cet arrêt, un notaire, assisté de deux témoins, et d’Etreham, se transportent à l’évêché pour requérir la collation du canonicat. L’évêque répond qu’en présence de la signification qui lui a été faite, le 12 décembre 1763, des regrets d’Outhier, « il ne peut que regarder cette signification comme une opposition respectueuse qui lui lie les mains ». Malgré cette réponse de l’évêque, d’Etreham manifeste son étonnement et poursuit l’exécution de l’arrêt de la Cour. Le 25 avril 1764, assisté d’un notaire, il se transporte « dans la nef de l’église cathédrale de Bayeux où, parvenu contre la porte du chœur, ledit Sieur d’Etreham s’étant mis à genoux contre la grille qui ferme ladite porte, et après avoir fait sa prière à Dieu, nous a demandé acte qu’il prenait possession desdites prébende et canonicat du Locheur et que, pour signe de sa possession civile, il touchait, comme il a effectivement touché, la serrure de ladite grille, a mis la main sur icelle serrure, dont du tout nous avons accordé acte ». Le lendemain, le 26 avril 1764, pour la prise de possession du temporel, les mêmes personnages se rendent au manoir du chanoine du Locheur, dans la paroisse de ce nom, se font faire ouverture des aîtres qui le composaient et le Sieur d’Etreham déclare prendre possession civile dudit manoir et de toutes ses dépendances en terres, rentes, droits et censives dont « du tout il a demandé acte comme aussi de ce que pour ladite prise de possession il a apposé les mains sur les portes des aîtres qui forment ledit manoir, dans tous lesquels il est rentré avec nous, dit notaire et témoins, touché le rez-de-chaussée desdits appartements, entré dans la grange de dixme de ladite paroisse… » Sans doute on s’entremit entre le résignant récalcitrant et le résignataire tenace, car le 16 octobre 1764 « à la requête de noble et discrète personne de M. Renauld Outhier » un huissier signifie à d’Etreham le désistement de ses regrets. Le 13 janvier 1765, Mgr de Rochechouart donne la collation de la prébende au nouveau chanoine et un arrête du Parlement de Normandie ordonne que « lesdites provisions seront registrées ès registres de la Cour pour être exécutées selon leur forme et teneur ». Le 28 mai 1765 seulement se fit l’installation, et voilà pourquoi, en cette année 1765, au chapitre général de février, il n’y eut pas de chanoine du Locheur, l’ancien ne l’étant plus, le nouveau ne l’étant pas encore.
L’abbé Outhier « se retira dans une petite maison qu’il avait acquise près du couvent de la Charité » (Laffetay 1876, pp. 39–40), y partagea son temps « entre l’étude et la prière » pendant dix ans et s’éteignit le 8 mai 1774, membre de la paroisse Saint Patrice, à l’âge de 79 ans.21 Il fut inhumé le lendemain dans la chapelle de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge de l’église de ladite paroisse.22 Aucun portrait d’Outhier ne nous est connu.
Digression : une supercherie littéraire erronément attribuée à Réginald Outhier
Pour terminer, nous corrigerons une fausse attribution d’un texte du XVIIIe siècle à Réginald Outhier. Pour ne pas perpétuer la confusion, les références utilisées ici n’ont pas été incluses dans notre bibliographie générale à la fin du volume.
Louis-Maïeul Chaudon (1737–1817), moine bénédictin de Cluny et éminent biographe, propose la note suivante concernant un « abbé Outhier », identifié comme chanoine d’Arles, au Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes traduits ou publiés en français d’Antoine Alexandre Barbier (Paris 1822, p. 337) :
« L’abbé Outhier, originaire du comtat Venaissin, directeur et prédicateur, prêcha un carême à Arles avec tant de distinction, que l’archevêque le nomma à un canonicat de son chapitre.
Il continua de faire des conquêtes spirituelles par la chaire et le confessionnal. L’une de ses pénitentes l’accusa auprès de l’archevêque d’avoir voulu la séduire en confession. Outhier fut obligé de résigner son canonicat, et se retira à Avignon, où il paraphrasait le Courrier23 de cette ville en termes emphatiques. Morénas24, écrivain assez plat, fournissait l’étoffe, et l’abbé Outhier y mettait la broderie.
C’est pendant son séjour à Avignon qu’il fit imprimer secrètement sa dissertation. Il y soutient, d’après quelques casuistes un peu relâches, que la qualité de confesseur n’est point une circonstance mortellement aggravante dont la déclaration soit absolument nécessaire, et que le péché commis avec lui n’est point un inceste spirituel.
Cette dissertation est bien écrite ; l’auteur avait du feu et de l’imagination. Il y prend un ton affirmatif : c’était celui qu’il avait dans la société ; et cette morgue hautaine ne servit pas à lui faire des amis dans son chapitre, dont quelques membres contribuèrent à sa disgrâce. »
Nous n’avons pas pu identifier de quel « abbé Outhier » il est question ici ; mais le fossé qui le sépare de l’abbé Réginald Outhier (1694–1774) de La Marre est insurmontable.
La dissertation en question, imprimée en 1750 in-12° de 124 pages, s’intitule Dissertation théologique sur le péché du confesseur avec sa pénitente. Le texte est anonyme : sur aucun des exemplaires survécus dans les archives de France le nom de l’auteur n’apparaît sur la page de titre. Une lecture analytique révèle l’auteur comme un confesseur, apparemment un curé qui vit en conflit avec son évêque : cela ne correspond pas du tout au profil de l’abbé Réginald Outhier tel que nous le connaissons.
L’auteur de la « Dissertation » est bien formé comme casuiste. Il s’appuie notamment sur Juan Cardinal de Lugo (1583–1660), éminent théologien jésuite espagnol, et un certain père Billuard, dominicain français. Il argumente que le péché entre confesseur et pénitente ne constitue pas un péché grave mais seulement véniel et qu’on ne doit pas rendre publique la circonstance aggravante. Quand à la confession sur ce péché, il y a quatre cas à examiner : 1) péché dans l’église ; 2) sollicitation pendant la confession ; 3) utilisations de révélations obtenues durant la confession ; 4) utilisation de l’autorité du confesseur. Seulement dans les deux premiers cas la pénitente doit déclarer le statut de confesseur de celui qui a péché avec elle, tandis que le confesseur semble, même dans ces cas, pouvoir se dispenser de déclarer le statut de pénitente de celle avec qui il a péché. En effet, pourquoi le péché de chair obligerait-il seul à déclarer le statut ? Selon l’auteur anonyme, il n’y a aucune raison. L’attitude des évêques paraît variable sur la question, les uns révélant le statut ecclésiastique du pécheur, les autres non. Une telle incohérence est critiquable et témoigne d’une défiance vis-à-vis des confesseurs. Il faudrait notamment protéger de la mauvaise réputation les confesseurs fautifs qui sont aussi curés. Quoi qu’il en soit, le péché entre confesseur et pénitente ne constitue pas une raison d’exclure la pénitente de la paroisse et de son confesseur, les évêques se réservant la confession de cette pénitente à tort. – Voilà un texte qui semble être né dans un milieu galant qui n’a rien à voir avec celui de l’abbé Réginald Outhier.
Poussons plus loin. La maison d’édition de la « Dissertation » est indiquée comme étant « Simon Doulounie, Gênes, vis-à-vis St-Marc » ; or, il s’agit d’une supercherie littéraire typique à l’époque où Avignon et son comtat Venaissin, fief papal jusqu’en 1791, nourrissait en son sein une kyrielle d’éditeurs téméraires qui échappaient à la censure exercée par le roi de France. De fait, Barbier (1822) identifie l’éditeur comme étant Alexandre Giroud, à Avignon. L’affaire du pseudonyme « Simon Doulounie » est connue ; on trouve la même conclusion aussi, par exemple, dans la Bibliographie clérico-galante par Antoine Laporte (Paris 1897, p. 132). Dans son L’imprimerie, la librairie et la presse à Avignon au XVIIIe siècle (Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 1974), René Moulinas parle d’un Alexandre Giroud né en 1708, fils d’Alexandre père, libraire de Grenoble et demi-frère de Charles (1681–1746) qu’il rejoint à Avignon en 1725. Moulinas ajoute que Giroud était le contrefacteur de la Gazette d’Amsterdam. Il était aussi l’imprimeur de la première formule du Courrier d’Avignon. Que penser dès lors de la mention inscrite sur la page 124 de la « Dissertation » qui affirme que l’on « trouvera chez le même imprimeur le Journal de Gênes, 4, vol. in-4°, qui se vend 15 livres le volume, relié à l’italienne. Ceux qui voudront en faire l’acquisition, auront la bonté d’envoyer l’argent, & et d’affranchir les lettres, s’ils veulent en recevoir réponse. » L’auteur anonyme doit faire partie, lui-même, du milieu éditorial semi-clandestin. Aucune date de publication n’est indiquée.25
Par ailleurs, Jack R. Censer, dans son ouvrage The French press in the Age of Enlightment (New York : Routledge, 1994, p. 125) identifie les principaux collaborateurs du Courrier d’Avignon entre 1745 et 1786 comme : Jean Baptiste Artaud (1775–84), Pierre Joseph Cheisome (?–1772), François La Bellonie26 (1749), François Morénas (1733–42 et 1750–75), Outhier (sans prénom ; dans les années 1740), Joseph-Marie Roubaud (1775) et Sabin Tournal (1784–93). Entre 1742 et 1749, il faut y ajouter l’abbé Jacques François de La Baume27 (1705–56), chanoine de la collégiale de Saint-Agricol à Avignon. Il fut condamné à une amende par le Parlement de Paris pour son ouvrage blasphémateur La Christiade ou Le Paradis reconquis (1753) qui avait prêté au Christ des passions trop humaines et donné de Marie-Madeleine une image pour le moins équivoque… C’est une équipe d’esprits libertins et de prêtres défroqués et rien n’indique qu’il s’agisse de notre abbé Outhier franc-comtois.
À la fin de 1742, Morénas quitte le Courrier d’Avignon ce qui met Giroud dans l’embarras en le privant de son rédacteur en chef. Par qui ce dernier fut-il remplacé au pied levé ? On ne le sait et on ignore qui, au juste, assura cette tâche délicate jusqu’au retour de Morénas à son poste en 1750. Dans la notice que Casimir-François-Henri Barjavel consacre à Morénas dans son Dictionnaire historique, biographique et bibliographique du département de Vaucluse (Carpentras : Imprimerie de L. Devillario, 1841, tome II, pp. 196–197) sont cités deux personnages que Morénas se serait adjoints : l’abbé de La Baume, puis « l’abbé Outhier », ex-prédicateur ; « celui-ci, donnant des bagatelles avec emphase, imprima à sa gazette une tournure déclamatoire qui aurait dû la décrier et qui servit à la répandre »28. Peut-être est-ce cet « abbé Outhier » qui se substitua à Morénas en 1742–50 ? Moulinas (op. cit., 1974, p. 306) ajoute l’information suivante : Dans un mémoire adressé à l’intendant d’Aix (Archives départementales Bouches-du-Rhône, C 3337), en janvier 1748, Morénas parle de celui qui rédige le Courrier d’Avignon à sa place ; il ne le nomme malheureusement pas et se contente de le désigner comme « un chanoine prêtre » qui fut aussi le secrétaire du Vice-légat d’Avignon Nicolò Maria Cardinal Lercari (1675–1757 ; en office de Vice-légat en 1739–44) ; si bien qu’on peut se demander si ce chanoine se confond ou non avec « l’abbé Outhier ».29
En conclusion, il est raisonnable de faire la distinction entre notre abbé Réginald Outhier « diocèse de Besançon » (1694–1774) et l’autre « abbé Outhier », de prénom inconnu ou « chanoine d’Arles », auteur casuiste de la « Dissertation » qui publie des articles enflammés dans le Courrier d’Avignon.
Malheureusement, Joseph Marie Quérard dans son La France littéraire, ou Dictionnaire bibliographique des savants, historiens, et gens de lettres de la France (tome VI, Paris 1834, p. 517) attribue la sulfureuse « Dissertation » à Reginald Outhier (1694–1774) alors qu’elle doit être l’œuvre de l’autre « abbé Outhier ».
Quérard a beau se prémunir d’un astérisque pour marquer l’incertitude de son attribution, l’erreur se propagera dès lors dans toute la littérature.30 Plusieurs auteurs de deuxième main31 qui ont écrit sur la vie de l’abbé Réginald Outhier développent toute une histoire pour expliquer comment on trouve notre abbé franc-comtois, chanoine à Bayeux, soudainement investi d’un autre canonicat en Arles, etc. Seul Richard (1926) semble avoir fait un véritable travail biographique sur notre question en remontant aux sources diocésaines de Bayeux, aujourd’hui dispersées. Il fait l’éloge d’un « prêtre très digne, un homme excellent, un esprit curieux, un savant aussi distingué que modeste » et ne prononce pas un mot sur le scandale prétendu au confessionnal. En effet, la participation continue de notre abbé aux réunions des chapitres généraux à Bayeux, vérifiée par Richard ; tout comme sa collaboration scientifique ininterrompue avec D’Albert de Luynes près l’Académie Royale des Sciences, contredisent les aventures prétendues de l’ex-prédicateur d’Arles et du journaliste d’Avignon, qu’il faut par conséquent attribuer à un ecclésiastique homonyme resté inconnu.
NOTES EN BAS DE PAGE (à compléter)
1 L’article de Richard (1926) est fort utile. Citons aussi : Antoine-François Delandine (éd) : Dictionnaire historique, critique et bibliographique contenant les vies des hommes illustres, célèbres et fameux de tous les pays et de tous les siècles (tome XXI, Paris 1822, p. 80) ; W-s (Weiss) dans Louis-Gabriel Michaud (éd.) : Biographie universelle ancienne et moderne (tome XXXI, Paris 1843, pp. 514–515) ; Honoré Fisquet dans M. le Dr Hoefer (dir.) : Nouvelle biographie générale (tome XXXVIII, Paris 1864, col. 982–983) ; Deborah Jean Warner dans Charles Clouston Gillispie (éd.) : Dictionary of Scientific Biography (tome X, New York 1974, pp. 255–256). Par contre, on ne peut pas faire entièrement confiance à Joseph Marie Quérard : La France littéraire, ou Dictionnaire bibliographique des savants, historiens, et gens de lettres de la France (tome VI, Paris 1834, p. 517) qui confond, apparemment, notre abbé Outhier avec un homonyme ou un pseudonyme. Pour quelques détails sur Outhier, voir aussi : Charma & Mancel 1857, vol. II, pp. 21–22, qui s’appuie sur « Recueil Mézeray » par Charles de Quens, pp. 356–357, un manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Caen.
2 Dans le comté de Bourgogne du XVIe et du XVIIe siècle, on parle le françois d’oc au nord, le franco-provençal au sud-ouest, et l’arpetan, un patois roman, sur les hauteurs frontalières du Jura.
3 Le clergé « séculier » est celui qui vit dans le siècle, c’est surtout un clergé paroissial, dirigé par un curé qui a autorité sur ses vicaires et placé dans chaque diocèse sous l’autorité de l’évêque. Curieusement, le premier à confondre le titre ecclésiastique d’Outhier, dont il fait un « abbé » au sens de supérieur d’une abbaye, c’est Anders Hellant dans sa traduction suédoise de 1738 du livre de Maupertuis La Figure de la Terre. Pourtant, Hellant avait bien connu Outhier lors de leur voyage commun dans la vallée de Tornio. Dans les lettres suédoises et finlandaises, l’erreur se propage depuis. Ainsi, par exemple, Hederyd (1996b), une œuvre de fiction, fait d’Outhier un dominicain !
4 Nous parlons de Réginald Outhier, parce que c’est sous ce nom d’une orthographe « savante » qu’il est connu dans l’histoire des sciences. D’autres orthographes possibles du prénom sont : Renaud, Renauld, Regnauld. Il s’agit d’un nom d’origine germanique formé des substantifs germaniques ragin, le conseil, et wald, le gouverneur. On recense deux principaux saints portant le nom de Renaud : En France, Saint Renaud (XIIe siècle) fut le fondateur de l’abbaye de Fontevraud, puis ermite. En Italie, Saint Renaud (XIIIe siècle), fut évêque de Nocera. L’acte de baptême semble avoir été perdu ; lors de son inhumation, notre abbé est appelé Regnauld. – Dans les sources de l’époque, on cite l’abbé Outhier parfois avec une orthographe erronée. Ainsi on trouve : l’abbé Hontier(Le glaneur français 2, 1736, p. 262) ; l’abbé Houttier dans les Mémoires du Duc de Luynes sur la cour de Louis XV (tome 1er, pp. 330–335).
5 D’autres formes anciennes du nom du village : Lamare, Lamart, La Mart, voire même Le Mert. Dans la carte d’une partie de l’Europe contenue dans le « Journal » d’Outhier, le graveur a marqué erronément : La More. Sur l’exemplaire du « Journal » offert et dédicacé par Outhier au Séminaire de Besançon, cette faute d’impression a été corrigée à la main, sans doute par l’auteur lui-même. L’autre partie du nom ancien ‘Jousserand’ reste inexpliquée. La fondation formelle du village, avec Jean 1er de Vienne, seigneur de Mirebel, date de janvier 1313. Lors de la naissance d’Outhier, le village dépendait de la paroisse des Faisses-Mirebel. Il y avait une première chapelle au moins depuis le début du XVIe siècle, mais elle n’en reste aucune trace. La chapelle Saint-Sauveur où Outhier a pu être baptisé datait de 1580 ; elle a été démolie lors de la construction de l’actuelle église, consacrée en 1815. (Rousset 1853–58 ; Pouillard 1987)
6 Mario Morisi, ayant mené une enquête suivie aux archives, propose que le père a dû être Pierre Joseph Outhier, le sieur de la Mart et procureur d’office de Mirebel ; fils de Nicolas Outhier, sieur de la Mart avant lui. En effet, à part de sieur Renaud Outhier né en 1694, on trouve dans les registres paroissiaux Pierre-Claude Outhier, né en 1696 et sieur de la Mart à son tour.
7 Vicaire aux Faisses en 1616–18, curé de Mirebel-en-Montagne 1618–60, curé de Fay-en-Montagne 1660–1675/6, il signa par exemple la supplique adressée par Marguerite Dussoubs en 1666 à l’archevêque de Besançon en vue de la construction d’un oratoire à La Marre, en exécution du testament de son frère Claude Dussoubs, auprès du cimetière des pestifères et en l’honneur de Saint-Roch. Aujourd’hui cet oratoire porte le nom des Outhier parce qu’en 1820 la famille Outhier le restaura comme un acte de piété. L’oratoire porte l’inscription : PIETATE / FAMILLE D. OUTHIER QUODAM / APUD LA MARRE TABELIONS / ANNO M.D. CCCXX / RESTAURATUM / SISTE ET ORA VIATOR. (Pouillard 1987)
8 À Poligny, le baillage qui est l’origine de la famille Outhier, il y avait une école de grammaire depuis le XIIe siècle. Il fut confié à l’ordre de l’Oratoire de Jésus en 1685. Les oratoriens, archi-rivaux des jésuites, étaient avancés en sciences naturelles eux aussi. (Chevalier 1767, Feuvrier 1898)
9 Les jésuites dominaient l’enseignement supérieur en Franche-Comté. La compagnie de Jésus avait fondé un collège à Dole en 1582, à Besançon en 1597 et à Vesoul en 1610. Les jésuites comme enseignants représentaient la discipline, la fixité dans le but et les méthodes, le zèle professionnel. Ils pouvaient offrir comme disciplines toute la gamme des sciences ; ils étaient les maîtres incontestés, notamment, de l’astronomie. À Dole, la grande institution des jésuites fut le Collège de l’Arc jusqu’à la suppression des jésuites en France en 1764–65 ; il devint par la suite le Collège Notre-Dame de Mont-Roland. Hélas, les archives de cette institution ont été largement dispersées, détruites, ou n’ont pas encore livré tous leurs secrets (Dumont 1985). Outhier était en bons termes avec le grand philosophe jésuite Père André (1675–1764), professeur de mathématiques au collège de Caen depuis 1726 et auteur notamment d’un Essai sur le beau (1741), parce qu’on sait qu’il avait transmis à Fontenelle une lettre de sa part (Charma & Mancel 1857, vol. II, pp. 21–24). Un autre jésuite qu’il a dû connaître à Caen est l’historien Charles-René-Pierre-Adrien de Toupin d’Orival (1681–1748) (ibid, p. 22). À noter aussi qu’Outhier se rendit à la messe des jésuites à Copenhague, à la légation autrichienne, le 27 juillet 1737.
10 Notre enquête aux Archives départementales du Jura a apporté des pistes pour étudier les débuts de carrière de l’abbé Outhier. L’ordination a dû se passer lors des cérémonies de la fin de l’année 1717, puisque l’on trouve mention d’un « sr Renaud Outhier ecclésiastique dudit lieu » dans le registre de la paroisse de La Marre le 21 février 1718. Le même « Renaud Outhier » réapparaît quelques jours plus tard lors du mariage de « Sr Jacques Genet, de Lausanne, et Marie Thérèse, fille du Nicolas Perrard, des Faisses ». Le même mois, il est mentionné comme le parrain de Jeanne Marie, fille de Pierre Claude Outhier et Marie Chevillard, de Montain. Le 22 avril 1721, on le retrouve lors du mariage de « Nicolas, fils de Nicolas Perrard et de Denyse, fille de feu Jean Noix, en présence du Sr Roux, des parents, entre autres de Renaud Outhier, prêtre, et Claude Pierre Outhier, de La Marre… » À noter la mention « prêtre » qui succède à celle de « Sr », réservée aux ecclésiastiques sans charge précise, dès le printemps 1718. Il semble dès lors participer comme témoin ou comme vicaire du père Claude Désiré Clément (en office 1710–31) à La Marre, avant d’apparaître comme vicaire de Montain. – Nous ignorons la date précise de l’ordination d’Outhier car il y a une lacune aux archives diocésaines survivantes concernant les ordinations de plusieurs années. De toute façon, l’archevêque de Besançon était alors René de Mornay, en office en 1717–21, mais il n’était pas physiquement présent à la ville de son siège. Pendant la vacance du siège en 1721–24, la direction spirituelle du diocèse fut assurée par François Gaspard de Grammon-Chatillon, neveu de l’archevêque antérieur François-Joseph de Grammont (en office en 1698–1717), tandis que l’administration en fut confiée à François de Bliterswick de Moncley, vicaire général et supérieur du séminaire (futur archevêque en 1732–34). C’est peut-être ce dernier qui a ordonné Outhier. Le successeur immédiat de René de Mornay fut Honoré de Grimaldi, archevêque de Besançon en 1724–31. (Jacquemet 1864, Surugue 1930)
11 L'église de Montain est mentionnée en 1089 dans une Bulle du Pape Urbain II confirmant les possessions de l’abbaye de Baume, sous le nom d’ « Ecclesia Montis Huyn ». Bâtie sur un pic isolé, l’église domine la paroisse et la région environnante. Son clocher constitue un véritable observatoire d’où, par les nuits transparentes du Jura, notre futur astronome a pu contempler le ciel. La sacristie est construite en 1694, le clocher actuel en 1704. Sont entreprises en 1708, « les démarches pour pouvoir construire, au flanc de l’église, une chapelle, parce que l’église est encore trop petite, malgré son agrandissement », et pour y placer l’autel du rosaire qui « ôte le jour sur le chœur et sur le pupitre et ne fait aucune symétrie ». La patène et la coupe de calice en argent doré sont du début du XVIIIe siècle ; il y a l’inscription « Cl. Chevillard ».
12 Six lettres d’Outhier sont incluses dans la correspondance de Pierre Louis Moreau de Maupertuis aux archives de l’Académie des Sciences (Outhier 1746–53). Une lettre d’Outhier à l’astronome Le Monnier se trouve à la bibliothèque de l’Observatoire de Paris (Outhier 1747).
13 Jean-Baptiste Cattin (1697–1767), franc-comtois comme Outhier, fut un maître horloger « d’une ingéniosité exceptionnelle » qui vécut à Fort-du-Plasne. Ses enfants ont porté le nom de Cattini, que l’un d’eux avait pris en Pologne où il était secrétaire privé du roi. Plusieurs de ses descendants ont continué le métier de l’horlogerie. Le bourg de Fort-du-Plasne, situé dans une combe jurassienne à 900 mètres d’altitude – entre Morez au Sud et Champagnole au Nord – appartient à la région marquée par l’horlogerie jusqu’à nos jours. (Calvin 2001) – Un autre inspirateur de l’abbé Outhier a pu être l’abbé Jacques-Joseph Tournier (1690–1769), né à Saint-Claude, ordonné à Besançon en 1718, qui avait également proposé un globe mouvant à l’Académie des Sciences mais dont le travail avait été refusé parce qu’il ne maîtrisait pas le langage savant pour bien le présenter. Les deux postulants ont dû se connaître au séminaire. Passionné d’astronomie, Tournier conçut un système qui prétendait réconcilier les difficultés de ceux de Copernic et de Tycho Brahé et qu’il tenta d’expliquer dans un ouvrage d’astronomie resté inachevé. Son élève Antide Janvier (1751–1835) réalisa une sphère mouvante qu’il présenta en mai 1768 à l’Académie de Besançon et finit par devenir horloger du roi Louis XVI.
14 Né fils cadet du duc de Chevreuse, pair de France, Paul d’Albert de Luynes (1703–88) se destinait d’abord au métier des armes. Mais, gravement insulté par un officier, il refusa de se battre en duel, quitta une profession peu en harmonie avec les sentiments de douceur qui l’animaient et eut la révélation de sa vocation ecclésiastique. Évêque de Bayeux (1729–53) puis archevêque de Sens (1753–88), il fut créé cardinal par Benoit XIV en 1756. Il était Primat des Gaules et de Germanie, commandeur de l’Ordre du Saint-Esprit, etc. Il fut élu à l’Académie française en 1743 en remplacement du cardinal Fleury ; grâce à l’intervention royale et le combat mené par le parti religieux, il avait été préféré à Voltaire. Son élection eut lieu la même année que celle de Maupertuis mais il fut nommé avant lui, le 28 mars et reçu le 16 mai. Astronome et physicien, il devint également membre de l’Académie des Sciences en 1755. Il réalisa plusieurs observations astronomiques importantes, à Sens, à Noslon, à Fontainebleau et dans son hôtel de Versailles. Elles furent transcrites dans les recueils de l’Académie des Sciences entre 1761 et 1773. Il publia également un mémoire sur les propriétés du mercure dans les baromètres (1768). On trouve encore de lui la description d’un anneau astronomique de son invention, dans la gnomonique de Dom Bedos (Quérard 1834 : La France littéraire, tome V, pp. 398–399). Il était également, depuis 1731, Protecteur de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-lettres de Caen qu’il avait réorganisé sous son autorité jalouse. Outhier, son secrétaire, n’y bénéficia pas d’un titre de complaisance. Il était bien à sa place dans cette académie animée d’une ardeur nouvelle qui comptait plusieurs autres prêtres-savants, professeurs de mathématiques et d’hydgrographie dans les collèges de la ville, passionnés d’astronomie etc. (Martin 1987, pp. 20–21) Politiquement, de Luynes était un protecteur des « feuillants », les antijansénistes modérés. On lui attribue également une lettre écrite au Saint Père, en 1764, en faveur des jésuites et de Christophe de Beaumont, l’archevêque de Paris connu comme l’instigateur des « billets de confession ». – On doit à son frère aîné Charles-Philippe d’Albert, duc de Luynes (1695–1758), la chronique Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV (1735–1758). Cet homme de Cour accompli fut un ami proche de Carl Fredrik Scheffer, l’envoyé brillant de la Suède à Paris (Wolff 2005, pp. 196–198). Scheffer avait rencontré Outhier à Stockholm ; le duc de Luynes le rencontra Paris en août en 1737. – Pour une vie du cardinal de Luynes, voir Vallery-Radot (1966).
15 Maupertuis appuya l’élection éclair du tout jeune astronome Le Monnier au poste d’adjoint géomètre de l’Académie contre la candidature de l’abbé Outhier qui avait sans doute plus de mérites. Par contre, c’est le comte de Maurepas qui désigna Outhier comme l’aumônier des « Messieurs du Nord » et lui fournit une chapelle de voyage, avec calice et patène, etc. Il en demanda l’autorisation auprès de l’évêque de Bayeux. Le frère de celui-ci, le duc de Luynes, disait d’Outhier : « C’est un homme aussi habile dans son genre qu’il est simple et vrai. Il est attaché à mon frère depuis quelques années et demeure avec lui. » Voir : Charles-Philippe de Luynes (1860), tome I, p. 330. Maupertuis confirme la vertu de l’abbé Outhier dans la préface de La Figure de la Terre, p. xv : « M. le comte de Maurepas nomma encore M. l’abbé Outhier, dont la capacité dans l’ouvrage que nous allions faire, était connue ».
16 Le roi accorda, le 12 avril 1737, une pension royale annuelle et viagère de 1000 livres
à Celsius et, le 1er novembre 1737, 1200 livres de pension à Maupertuis, 1000 livres à Clairaut, 600 livres à Camus et Le Monnier (Nordmann 1966, p. 93 ; source originale : « Registres du secrétaire de la maison du Roy », Archives nationales, O1/81, f° 376). Maupertuis, autant par hauteur que par délicatesse, refusa sa pension qu’il trouva trop modeste. Outré qu’on s’acquittât si chichement de l’aplatissement de la Terre, il écrivit une lettre insolente au cardinal Fleury en le remerciant de ses bontés et en le priant de faire repartir le montant sur ses assistants. Le comte de Maurepas, son protecteur à la Cour, lui demanda instamment d’accepter la pension et d’écrire une lettre d’excuses au Premier ministre. Maupertuis refusa et dit même à M. de Maurepas, dans un moment de vivacité, que le Cardinal pouvait donner cette pension à son propre valet de chambre, « qui avait aussi fait le voyage du Pôle et en était revenu malade ». (La Beaumelle 1856, pp. 53–54 ; Badinter 1999, p. 97)
17 Jean-Joseph Languet de Gergy (1677–1753) fut évêque de Soissons, aumônier de la Dauphine, puis archevêque de Sens depuis 1730 et Conseiller d’État depuis 1747. Élu à l’Académie française en 1721, il y exerça une influence très grande comme figure de proue du parti dévot contre celui des philosophes ; il combattit fougueusement les candidatures de Montesquieu (élu en 1728) et de Voltaire (élu en 1746).
18 L’article sur odomètre dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et D’Alembert.
19 La prébende du Locheur au diocèse de Bayeux était l’une des sept fondées en 1074 par l’évêque Eudes, frère de Guillaume le Conquérant. C’était une paroisse dont le chanoine était seigneur et patron collateur ; le curé qui, bien qu’ayant la charge des âmes, n’était en réalité que son vicaire perpétuel, recevait du chanoine une pension de 700 livres. Le Coutumier du chapitre de Bayeux, rédigé en 1269, dit qu’il avait séance au chœur et au chapitre du côté gauche et nous voyons en effet, dans l’acte de prise de possession de ce canonicat par l’abbé Outhier le 9 septembre 1748 que telles furent bien les places qu’on lui assigna avant qu’il reçut le baiser de paix.
20 Emprunté du bas latin idoneitas, « faculté, aptitude ». En droit canonique, l’aptitude d’une personne à recevoir un office ecclésiastique.
21 Plusieurs dates erronées et informations contradictoires de la mort de l’abbé Outhier circulent dans la littérature, y compris dans les meilleurs dictionnaires de biographies (par exemple : Vahtola 2006). Richard (1926, p. 141) donne la citation suivante des actes de la paroisse de Saint Patrice à Bayeux : « Le lundi 9 mai 1774 a été par nous, curé de Saint Patrice de Bayeux, inhumé dans la chapelle de la Sainte Vierge de l’église paroissiale dudit lieu, le corps de discrète personne Regnauld Outhier, prêtre, ancien chanoine de l’église cathédrale de cette ville, lequel, âgé d’environ quatre-vingts ans, décéda hier dans notre susdite paroisse, après avoir reçu l’extrême-onction. Ladite inhumation faite en présence de Messieurs Pierre du Castel, vicaire, Philippe la Brecque, prêtre, Michel Yver et Pierre Joret, custos, tous de cette paroisse, lesquels ont signé avec nous. – Signé : La Brecque, prêtre, Ducastel, vicaire, P. Joret, M. Yver, Hebert, curé de Saint Patrice. »
22 La chapelle de l’Immaculée Conception constitue le transept sud de l’église actuelle. L’église Saint Patrice ayant subi des dégâts importants lors des saccages sous la Révolution et ayant été reconstruite, les lieux des anciennes sépultures ne sont plus visibles.
23 Pour une histoire du Courrier d’Avignon, voir René Molinas : L’imprimerie, la librairie et la presse à Avignon au XVIIIe siècle (Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, 1974) et les articles par le même auteur dans Jean Sgard (dir.) : Dictionnaire des Journaux 1600–1789 (Paris : Universitas, pp. 272–275).
24 François Morénas (1702–74), publiciste né en Avignon, rédacteur en chef notamment du Courrier d’Avignon en 1733–42 et en 1750–68. Il entra, après avoir fini ses études, dans un régiment d’infanterie, puis se fit cordelier, obtint ensuite la dissolution de ses vœux et se lança au journalisme. Louis XVI, en conflit avec le Pape, s’étant emparé du Comtat Venaissin et d’Avignon en 1768, son journal fut supprimé mais il continua ses activités à Monaco où il mourut. Auteur de plusieurs ouvrages historiques à valeur variable, dont un Abrégé de l’Histoire ecclésiastique de Fleury (1750), très controversé à l’époque. On trouve son portrait au Musée Calvet d’Avignon.
25 Le Catalogue de la Bibliothèque de Monsieur le Comte Charles de L’Escalopien (1866, Paris : J.-F. Delion) date la « Dissertation » en 1760 mais il n’y a aucune justification.
26 Pour plus d’informations biographiques sur François La Bellonie (1720–50), voir l’article par Françoise Weil dans le Dictionnaire des Journalistes 1600–1789 (Oxford : Voltaire Foundation, 1999, col. 431–432). Né à Vichy, La Bellonie fut d’abord jésuite huit ou neuf ans. Après un séjour à Paris, il arriva dans le Comtat Venaissin au début de 1748 et séjourna environ quinze mois à Carpentras. Son pseudonyme fut Falconnet de la Bellonie. On ne connaît pas la date de son départ, mais il fut admis à l’hôpital d’Avignon le 2 janvier 1750.
27 Pour plus d’informations biographiques sur l’abbé de La Baume, voir l’article de Robert Granderoute dans Jean Sgard (dir.) : Dictionnaire des Journalistes 1600–1789 (Oxford : Voltaire Foundation, 1999, col. 430–431). Voltaire ne manqua pas d’ironiser l’auteur de La Christiade. Dans l’article « Marie Magdeleine » de ses Questions sur l’Encyclopédie (1770) il évoque les « complaisances criminelles pour le Sauveur du monde » de la sainte pécheresse, un fait troublant qui fait toujours « dresser les cheveux à la tête de tout chrétien ». Quant à l’abbé de La Baume : « Je n’examine pas si la peinture que fait l’auteur des saints transports de Magdeleine n’est pas plus mondaine que dévote ; si les baisers donnés sont exprimés avec assez de retenue; si ces beaux cheveux blonds dont elle essuie les jambes de son héros ne ressemblent pas un peu trop à Trimalcion, qui à dîner s’essuyait les mains aux cheveux d’un jeune et bel esclave. » Voir aussi la lettre de Voltaire en date du 16 mars 1754 à la duchesse de Saxe-Gotha.
28 D’autres dictionnaires biographiques anciens ont repris, en d’autres termes, la même appréciation sur « abbé Outhier ». Citons par exemple l’article sur François Morénas dans M. le Dr Hoefer (dir.) : Nouvelle biographie générale (Paris : Firmin Didot, 1861, tome 36, col. 547–548) : Morénas choisit pour rédiger Le Courrier d’Avignon « l’abbé Labaume, puis l’abbé Outhier ; cette gazette, à peine remarquée jusqu’alors, jouit d’une certaine vogue grâce à ce dernier écrivain, qui avait, en dépit d’un style déclamatoire, de l’imagination et quelquefois des saillies ». Comme source, on donne Barjavel (1841).
29 La chronologie des éventuels rédacteurs en chef du Courrier d’Avignon demeure, en fait, peu claire. Selon Barjavel (1841), l’abbé de La Baume aurait travaillé « pendant plus de dix ans au Courrier avec Fr. Morénas jusqu’en 1751 ». D’autre part, d’après l’article de Françoise Weil sur François La Bellonie (1720–50) dans le Dictionnaire des Journalistes 1600–1789, La Bellonie « travailla au Courrier d’Avignon après que l’abbé de La Baume eût quitté cet ouvrage » (Bibliothèque Nationale, f.fr. 22158, f° 157) : une contradiction évidente avec Barjavel. Weil continue : « Selon la même source, La Belonie aurait habité successivement Avignon puis Carpentras, donc travaillé au Courrier peut-être avant 1748. » Censer (1994) et Moulinas (1991), par contre, situent l’activité éditoriale de La Bellonie au Courrier en 1749.
30 Le Nouveau Larousse Illustré (1898–1907, tome VI, p. 584) se trompe aussi. Fait remarquable cependant : Les autres dictionnaires biographiques anciens les plus importants que nous avons utilisé, tels que Delandine (op. cit., 1822), Michaud (op. cit., 1843) ou Hoefer (op. cit., 1864), ne reprennent pas l’erreur de Quérard. Elle est absente aussi chez Gillispie (op. cit., 1974) et, comme nous avons déjà souligné, surtout chez Richard (1926) qui contient la seule enquête sérieuse jamais faite sur notre question aux archives diocésaines de Bayeux, aujourd’hui dispersées.
31 On trouve une discussion erronée de la « Dissertation » par exemple dans Desnoiresterres (1871, t. 4, p. 281), Harjunpää (1975, p. 81), Balland (1994, p. 265), etc. Tous ces auteurs ont calqué Quérard (op. cit., 1834) sans avoir lu la « Dissertation ». L’ouvrage est assez rare ; on trouve un exemplaire à la Bibliothèque nationale (Tolbiac), à la Bibliothèque municipale d’Avignon-Vaucluse (Médiathèque Ceccano), à la Bibliothèque de l’Université catholique de Lyon, à la médiathèque d’Albi et à la médiathèque d’Amiens. Nous avons pu confirmer que l’identité de l’auteur ne figure nulle part dans le texte imprimé dans aucun de ces exemplaires. Néanmoins, parfois, il a été ajouté au crayon, sans doute par un bibliothécaire sous l’influence de Quérard.
Mis à jour ( Mercredi, 13 Novembre 2024 01:47 )