LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 57
AOÛT 1981 -JUILLET 1982 – L'ANNÉE RENNAISE ENTRE RETOUR À L'ÉCOLE ET NEUVAINES, DÉBUT DE LA FIN ET LES MARIEMONTAGNES...
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Rennes est une ville comme je les aime ; une rivière, des ruelles historiques, une population mélangée et d'innombrables bistrots, une cité cousine de Toulouse et de Besac que je place hors-catégorie dans mon palmarès.
S'installer pour neuf mois demande de l'organisation, je quitte Marie, monte à Paris, prend le TGV et me retrouve chez les Bretons fin août. L'idée est de trouver un studio avant la rentrée des étudiants. J'y parviens facilement, un petit nid douillet en plein quartier historique, avec colombages et tout, pas loin du Parlement de Bretagne.
J'explore illico les lieux et je tombe sous le charme, la rue Saint-Michel, la rue Saint-Malo plus au nord, dite la rue de la Soif.
On est convenus avec Yves de se retrouver sur place une semaine avant le début du stage. Je ne me rappelle plus comment, mais on est pris en main par un couple de Bretons de ses connaissances, bien serviables mais terriblement bretonnants, tout au cidre et au gros-plant, impossible de siroter un rosé de Provence ou un valpolicella. Pis y z’adorent Tri Yann et les bd, impossible de s'éloigner de leur zone de confort,
Nous serions quinze en formation sur le campus de l'université, venus de Saint-Omer, de Normandie, de Savoie, de Valence, d'Arles, de Marseille et de la région parisienne, pour la plupart des gens issus de la galaxie MJC, en tout cas du monde de l'éducation populaire.
Comme ce fut souvent le cas, je suis l'OVNI de la bande. J’ai un diplôme universitaire et je pourrais donner une partie des cours en socio, philo, psycho-socio.
Ce n'est pas le cas en comptabilité-gestion, en éduc-pop et en maîtrise de ce que les formateurs appellent "la pédagogie du conflit".
Je passe les premières semaines seul, Marie ne semblant pas ravie de me suivre, mon argument sur le "trouver un boulot" et le "ne plus avoir de problèmes financiers" ne la convainquent qu'à moitié.
Nous sommes contents de nous revoir, le studio que j'ai trouvé est petit mais mignon, au premier, une entrée cuisine et une chambre sans fenêtre, 25 mètres carrés au plus.
Côté finance, je suis rétribué 80% de mon salaire précédent, merci Bouglione et les Chennevières.
Marie se met à déprimer. Elle se fait du souci pour ses sœurs, sa grand-mère qui avance en âge, elle ne touchera le chômage que quelques mois.
Marie fume trop, picole. Elle tourne en rond.
Aveu et flash-back : il s'est passé quelque chose pendant le stage à Mirande. Jamais je n'avais trompé le capitaine, Millerien quand je suis célibataire, je suis monogame en couple. Or un soir que nous sommes revenus du centre-ville pompettes, je me glisse dans le dortoir d'un groupe de "gymnastes volontaires" et dans le lit d'une coquine avec qui j’avais échangé au réfectoire…Gloussements, allusions, invitations discrètes, elle rentre du cinéma et me trouve dans son lit. Rougissante, elle me tire par les oreilles dans le parc, nous trouvons un arbre au tronc puissant et se passe ce qui doit se passer. Elle est cambrée, pas un poil de graisse, les chairs lisses, des seins en melon et, disons que son mari lui fait l’amour avec respect. Alors, les préliminaires la mettent en eau, elle résiste, prend goût à la position dite de l’Amazone, me rappelle Robin à Solihull, bref, elle chante dans la nuit et nous nous sommes bien aimés.
Cette incartade me tourmente ; je sens qu'elle est un signe, le premier nuage, une hypothèque. Ressentiment poisseux que je pondère en pensant aux cornes que Meriem m'a fait porter à El Oued.
Alors que je me passionne pour une partie de la formation et que je tisse des liens d'amitié durables avec Yves et avec Michel J, un ancien des comités de soldats qui revient d’Amérique latine, je pressens que Marie s'éloigne, ayant rencontré le sosie fluet d'Alain Delon et sa mouche du coche, une fleur toxique qui fournissait le shit et probablement les matait.
Delon est ma contre-figure : fin, les yeux bleus, délicat, romanesque, le genre magnétique silencieux. Il a une formation d'ajusteur mais il ajuste peu à l’usine.
Delon, la venimeuse et Marie passent leurs nuits à écouter Bowie en tirant sur leur joint ; ils se disent fans de new-wave, du Japon, de sushis, de mangas et ils portent le kimono.
Je suis plus attristé par les dangers que court Marie que par les cornes qu'elle me fait porter. Je me dis qu'après tout c'est bon signe, elle était au bord du suicide, je l'ai poussée à lutter, à reprendre confiance. À présent que je ne voulais pas lui faire d'enfant, elle reprenait sa liberté, elle en avait le droit, elle était sortie d'affaires.
Vu la nouvelle configuration, je quitte le nid de la rue Saint-Michel et je m'installe dans un HLM avec Yvinho et un collègue du Pas-de-Calais. Ils ont chacun leur chambre et je dors sur le canapé du salon.
Je vis une année complexe, culturellement riche, pleine d'amitié et de révolte, avec en filigrane le spleen des Mariemontagnes, la hantise de voir la femme de ma vie exposée à toutes sortes d'emmerdements avec ses deux crétins complètement gazés.
Je m'en rends compte à présent. Je jouais une nouvelle fois les outsiders. Alors que la quasi-totalité de mes camarades avait une famille au pays, des contingences et un plan de carrière (un directeur de MJC titulaire gagnait l'équivalent de 3000 euros par mois), j'étais là par défaut : parce que l'occasion avait fait le larron, parce que je voulais que Marie et moi ne nous retrouvions pas à la porte du CCAS.
Plutôt que sombrer, je m'agite, je deviens délégué syndical, je représente les gars au CA de Paris avec des revendications raisonnables : les stagiaires vivent mal, ils doivent continuer de payer le logement de leur famille dans leur région d'origine, un logement à Rennes... et un autre sur leur lieu de stage pratique, sans compter les allées et venues.
Lorsque je rédige un roman-photo du nom de "Super Stagiaire : la révolte", ça barde dans le stage. Je m’encape le psychosociologue, un minus doublé d'un faux-jeton et d’un manipulateur.
Quand le soir arrive c'est le temps de la Soif, des piano-bars, du Rocher de Cancale, des Pubs et des cafés-concerts.
De la Maison de la Culture aussi où Yves et moi nous faisons passer pour des artistes en résidence.
Nous avons de la chance, la scène musicale rennaise est en train d'accoucher de Marquis de Sade et des Transmusicales.
Savoir que Marie rôde avec ses baltringues est un calvaire en sourdine. Je passe devant chez elle en essayant de voir si tout va bien, puis enragé je me laisse aller…
Comme ce dimanche après-midi où Sabine, une inconnue, m'embrasse à pleine bouche et m'entraîne dans un 200m2 appartenant à sa grand-mère installée à Quimper, ou à Lannion, ou dans le Finistère.
Elle n'y va pas par quatre chemins, Sabine, elle me pousse sur un lit, me déshabille et me consomme de maintes façons pendant trois jours et deux nuits, fondant et refondant de toutes les manières, me prenant tout à la fois pour un poupon gonflé, un godemiché parlant, un étalon trouvé pas trop cher sur le marché et un frère, un confident, avec qui elle pouvait parler littérature et inceste, avenir impossible et passé obsédant.
Je comprends que je peux rester aussi longtemps que je veux chez Sabine, je la touche, je l’émeus : "Prends un jeu de clés, ne me quitte pas." - Or je la quitte, "Sexus" mais pas "Plexus" ni "Nexus", pour cela il y avait M.
Il y a cette fille un peu ronde qui adore la littérature russe avec qui je dîne au Rocher de Cancale, on échange sur Gogol, Pouchkine, Tourgueniev et les Mémoires d'un Chasseur. Elle a des yeux translucides, lorsqu'elle jouit ils se décolorent. Elle aussi fond par tous les pores, je finis par avoir peur de me noyer.
J'oublie Gribouille, une animatrice petite-enfance rencontrée dans un fest-noz. Elle a installé son lit en face de la porte, l’invité n'a qu'à ôter sa veste et plonger entre ses cuisses, elle est super sympa, elle adore faire plaisir et rendre service. Ensuite elle pleure beaucoup.
Lorsque mes camarades de promo rentrent dans leurs foyers pendant les vacances scolaires, je traîne les bars américains et je noircis des carnets de notes, les filles essaient de me distraire, glissent leurs seins sous mon nez, s'assurent que je suis bien un homme. Je leur paie une coupe mais je ne cède pas, il y a Marie tapie dans l’ombre…
Du côté de la bibine je fais fort : une douzaine de verres par jour, des Suze-cassis en apéro, du blanc et rouge à table, des rafales de bière blanche à l'Ozone, un pub, où nous assistons à un concert de Rykiel, un des musiciens de Gong. Résultat de cette diète gastro-liquide, je passe de 72 kg à 76 kg,
Au milieu de ces randonnées paludénnes, il y a de grands moments. Comme cette soirée à la Maison de la Culture où Yves et moi avons l'honneur de vivre l'après-spectacle avec le Maestro Carlo Colla, le directeur de la Compagnie qui adapte en marionnettes les Opéras joués à la Scala depuis un siècle et demi. Il nous fait l'honneur de ses coulisses, nous présente à leur majesté ses pantins à tringles...
Un jour que je reviens de Paris en TGV, je tombe sur un zonard qui a étalé le contenu de ses poches sur mon siège. Il prétend être le régisseur de Jacques Higelin, il a loupé le car de la régie et il ne sait plus comment joindre le reste de la troupe. Je le rassure, je le mets sur la bonne voie.
Le lendemain matin, il frappe à la porte du cours de compta, s’excuse et me tend deux back-stages pour le concert du Grand Jacques, un de mes chouchou absolu, dont je viens de lire les chansons à haute-voix à Sabine, ayant trouvé son Seghers chez elle.
Eh bien, rien n'étant impossible, je passe une partie de l'après-midi avec l'auteur de ´Champagné et de ´Alertez les Bébés’, un moment inoubliable qu'il interrompt pour empêcher le SO de casser la figure à un groupe de fans qui veulent entrer sans payer. Merci, Jacques.
J'ignore si cette période de la vie de Morisi était triste, s'il avait tout faux, s'il aurait dû se battre davantage pour son ex-capitaine, toujours est-il qu'elle lui annonce la nouvelle : elle est enceinte et elle ne sait que penser…
Mis à jour ( Vendredi, 01 Novembre 2024 15:36 )