LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L 04
4. DES BALLES EN MOUSSE AUX BALLONS DANS LA FIGURE
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"Pour des millions de millions de gosses indépendamment de leur couleur, de leurs origines, de leur langue et de leurs croyances, il y avait d’abord la perfection unique et ronde de la balle ou du ballon, même si la plupart jouaient avec des balles de chiffons ou de vieux cuirs cabossés vaguement sphériques. Dans les années 50, le ballon était une sphère de cuir rabibochée par des coutures et un lacet dont la fonction était de maintenir une chambre à air à l’intérieur. Malmené par d’innombrables « coups de botte », comme on disait à l’époque, le ballon ne tardait pas à se déformer et la chambre à air à sortir, formant une hernie qui transformait l'objet du désir en un ovale aux rebonds capricieux. Quand le terrain était boueux, le cuir, qui n’était pas plastifié, s’imbibait d’eau, pesait une tonne et devenait une grosse savonnette impossible à domestiquer. Former un mur était alors une preuve de courage, se prendre le parpaing mouillé en pleine tête n’était pas rare. Pour ne pas parler du lacet qui avait tendance à vous cingler le front et parfois pire.
La première photo documentant l’amour fou qui naquit entre moi et la balle au pied remonte au temps des barboteuses. Il faut savoir que nous n’étions pas encore en pleine civilisation du loisir et que les enfants de pauvres se contentaient de jouer dans les parcs avec leurs parents et de faire du vélo à trois roues. C’est aux Ibis au Vésinet, lorsque nous visitions mes grands-mères, que je donnai mes premiers coups de pieds dans une balle. Premier partenaire de jeu, ma mère Janine et ma grand-mère Yvonne. Si l’on en croit les photos, le courant passe entre la balle en mousse et moi, j’ai une belle conduite de balle et comme me le répétera mon père pendant plus de 20 ans, quand on "conduit" la balle, il faut lever la tête.
Le deuxième souvenir concernant le balle ronde remonte à 1953 ou 54 lorsque Papa travaillait à Boulogne-sur-Mer. Heureux de gambader sur la plage, j’insiste pour qu’on joue au ballon. Victime d’un coup de savate malencontreux, celui-ci caracole au milieu d'une flaque de méduses. Papa insiste pour que j’aille le chercher. Je fonds en larmes, je tape du pied et je refuse, les nuages de mouches et les méduses pourries ne font pas partie du contrat moral que j’ai signé avec le football. Papa me reproche ma couardise et me lance ladite balle... en pleine frimousse. A moitié K.O, je ne lui adresse plus la parole de la journée, peut-être même de la semaine.
Alors que Papa revient d’un déplacement à Saint-Nazaire, Carlin, Lacq ou Brignoles, il nous emmène maman et moi voir un match à Nanterre où il a joué quelques saisons avant de participer à la coupe de France 1945/46 avec l’U.S. Le Vésinet, qu’on appelait alors Le Village. Eh oui, Papa aurait éliminé le CO Roubaix Tourcoing et le Stade Rennais avant de succomber à Clermont, en 1/8e de finale après prolongations. Heureux de retrouver ses vieux copains, Papa m’envoie chercher du Verigoud Orange à la buvette. Le problème c’est qu’une crapule m’arrache le billet de 500 francs anciens qu’il m’a confié et que je reviens mortifié de ne pas avoir été à la hauteur... Les couleurs sociales de l’E.S. Nanterre d’alors étant le jaune et le vert, je me demande si mon allergie aux Canaris de Nantes et aux auriverde du Brésil ne viennent pas de là. On est rancunier, quand on est petit. Et quand on est dingue de foot, on le demeure jusqu'au temps des prothèses de hanche. Je « tape » peu dans le ballon avant mon entrée au CP.
Passé par la garderie des Sœurs rue de la Source, l’École Jules-Ferry de Nanterre me refuse l’entrée au CP parce que je suis né le 1er janvier et qu’on ne peut s’inscrire que si l’on est né le 31 décembre. Je reçois un prix, celui de "L'Éloquence perpétuelle" ! A part ça je suis un champion de trottinette et de balle au chasseur. A la maison, on écoute le foot en famille à la radio. Maman est supportrice du FC Sochaux, ma grand-mère Yvnonne, devenue pipelette Rue Choron à Paris, est pour le LOSC. Papa, c’est l’Inter de Milan, l’ancien club du Messi de l’époque, Giuseppe Meazza, double champion du monde, l’homme au pied glacé mais j’en reparlerai.
Je vous l’ai dit, je suis pour les Pingouins du Racing en championnat et pour le Stade de Reims de mon idole Piantoni en Coupe d'Europe. Piantoni, bon dieu, qu’une triple blessure aux croisés mettra à genoux à l’âge de 26 ans...
Papa vendait « l’Intransigeant » dans les rues de Paris à l’âge de onze ans, puis devint mitron avant d’en avoir quatorze, ce qui le priva de son Certif'. Des livres, il y en avait plein la maison. Des livres d’histoires (Papa adorait Napoléon et Garibaldi), des romans de cape et d’épée (Michek Zévaco, Alexandre Dumas) et les romans noir et jaune à la tranche cartonnée du Masque et la Plume. Dans ce fatras, j’adorais plonger à la recherche de ces incroyables magazines de sport italiens aux couleurs improbables dont ‘Lo Sport illustrato’ avec ses unes sensationnelles pour l’époque. Ca se voyait clairement : L’Italie était le paradis du sport et des campionissimi, pas étonnant que la France enrôlât d’anciens Italiens et pas mal d'étrangers en boxe, en foot et dans toutes sortes d’activités.
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Mis à jour ( Mardi, 16 Avril 2024 14:59 )