LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L 02
2. LE TEMPS DES PINGOUINS
" Chaque fois que je tourne le premier bouton de la magnifique radio plaquée en bois vernis et que son oeil vert apparaît, accompagné d’un voix qui craque, j’écrase une larme : elle marche soixante-dix ans après que Papa eut sacrifié plusieurs journées de travail pour avoir des nouvelles du pays sur les petites ondes, les ondes courtes ou la bande étalée et suivre les exploits de Bartali, de Coppi ou de la Squadra Azzurra. C’est en écoutant avec lui le « Calcio minuto per minuto » et les retransmissions des matchs du Calcio que j’apprendrai mes premiers mots d’italien, et en feuilletant « Lo Sport illustrato » que je m’initierais à la langue de Dante et de mon papa.
En ce temps-là, le tiercé était une institution avec la loterie nationale. Lieu de mixité sociale, endroit où l’on présentait ses enfants à ses collègues de travail autour d’un Ricard et d’une grenadine offerte aux bambins par le patron, le PMU n’appartenait pas à la FDJ, c’était une Régie qui dépendait de l’Etat, la folie du jeu ayant causé la ruine de pas mal de braves gens.
Se rendre au PMU était le cœur des dimanches matin. Il fallait voir les gaziers en gâpette la Gitane au coin des lèvres, c'est là qu'ils 'étudiaient la formule' et démontraient par A + B qu’il fallait jouer le 6 à la place du 11 ou le 12, et le 17 dans la quatrième.
En ces temps de moindre médiatisation, on atteignait le summum de l’excitation les semaines qui précédaient le Grand Prix d’Amérique, le Grand Prix de l’Arc de Triomphe ou le Grand Steeple Chase de Paris.
Je me souviens de mes premières fois au champ de course, quand nous allions pique-niquer à Longchamp, mon oncle me glissait une pièce dans la main et je devais choisir un cheval, que, futur écrivain, je choisissais pourvu que son nom m’inspirât de l'intérêt. C’est là que j’ai appris que la lettre initiale détermine l’âge du cheval en course.
Trois semaines après ma naissance,
c’est un trotteur italien, Mighty Ned, déjà sacré deux ans plus tôt, qui gagna le Grand Prix d’Amérique au trot devant Scotch Thistle et Chambon, le chouchou des Parisiens avant que n’apparaisse la championne des championnes, la coqueluche Gélinotte
Question émotions fortes, impossible d’écarter le vélo, qui, avec le triomphe de l’industrie mécanique, est la pratique favorite des Français ordinaires avant la motocyclette et l’automobile, plus couteuses, qui feraient florès dans les années 60 et 70.
En août 1950, c’est un Suisse degingandé, Ferdi Kübler, qui remporte le 37e tour de France et succède à Gino Bartali (1948) et à Fausto Coppi (1949): « Ah ces Italiens », s’était plaint le Président Auriol lors de la victoire des Azzurri à la coupe du monde française de 1938..
Entre le quatre cordes du ring, Laurent Dauthuille précède Marcel Cerdan dans le cœur des Français et tient la dragée haute à Jack La Motta à Detroit. Il le malmène avant de prendre la foudre à 30 secondes de la fin du combat, contribuant à la légende de « Raging Bull » que Robert de Niro immortalisera dans un film de Martin Scorsese.
Papa disait connaître Robert Charron, un rival de Dauthuille et de Cerdan, Jean Robic, le vainqueur du tour 1937, et Milo Bongiorni, un Italien d’Aulnay-sous-Bois qui avait débuté au CA Paris et trouverait la mort dans la catastrophe aérienne de Superga avec le Grand Torino...
Des photos le prouvent, le meilleur ami de papa était Peppino Cortinovis, le fils de'un ferrailleur de Nanterre qui gagna de nombreuses courses cyclistes et devint champion de France des amateurs et des indépendants...
La selle que papa fit monter sur le vélo de course couleur Bianchi qu’il m’offrit en 1963 - tout en Simplex et Campagnolo, avait couru le tour de France avec Dante Franzil, qui appuyait plus fort sur la pédale gauche que sur la pédale droite, raison pour laquelle sa selle, une Brooks craquelée, penchait vers la gauche.
Papa me l’a raconté plus tard, la jeunesse martyrisée par l’Occupation, puis par la famine, « bossait dur » et n’avait d’autre distraction que les bals musette, les terrains de foot, les routes de la vallée de Chevreuse et les rings de banlieue. Une des occupations du dimanche quand il faisait beau, c’étaient les sorties à vélo en peloton, parmi lesquels, des champions affirmés, qui jouaient le jeu des « derniers en haut de la côte paient le casse-croûte ».
Quand la saison du foot arrivait, les cyclistes et les boxeurs passaient un flottant, mettaient des crampons de fortune et participaient aux exploits de l’équipe de leur quartier : Nanterre, le Vésinet, Puteaux, Suresnes...
En ce temps-là, quatre équipes se disputaient les faveurs des Parisiens. Le Racing Club, institution bourgeoise polysportive, le Red Star populaire et communiste, le Cercle Athlétique de Paris, et le Stade Français qui faisait des étincelles en première division et même en coupe d’Europe.
Il a fallu que je creuse dans les palmarès 1960 pour corroborer le souvenir que j’avais d’un Red Star-CAP en lever de rideau d’un Stade Français-Racing de Paris au Parc des Princes. Je n'ai pas rêvé, on avait parfois droit à deux matchs de file au Parc.
Papa, maman et moi étions au Parc le jour de l’arrivée du tour de France en 1956, lorsque le sprinter André Darrigade avait percuté un photographe et l’avait... tué.
Nous allions au Parc pour les Six Jours de Paris, j’adorais les courses derrière derny et les affrontements épiques entre le cador espagnol Timoner et le Français Godet, et je me souviens d’une nocture où une panne d’électricité avait précipité les concurrents les uns contre les autres au milieu du fracas des vélos explosés et des cris de terreur des spectateurs plongés dans l'obscurité..
La mémoire est capricieuse. Né dans la région parisienne d’un papa qui nous entraînait maman et moi dans ses déplacements, je « tenais » pour les ciel-et-bleu du Racing, comme on dit en italien.
Le Racing de l’époque était autre chose que le Paris Saint Germain, club créé ex nihilo en 1973. Les ciel-et-blanc du Racing Club de Paris, qu’on appelait Les Pingouins, jouaient au Parc et tenaient la dragée haute aux caïds du championnat : Lille, Monaco, Le Havre, Marseille et bientôt Reims. De là est né, sur L’Equipe, le Miroir des Sports et Miroir-Sprint, mon amour pour le sport, un amour qui se focalisa sans tarder sur le ballon rond. En ce temps là mes héros étaient le Hongrois Joseph Ujlkaki et l'avant centre Thadée Cisowski...
(À SUIVRE)
Mis à jour ( Mardi, 16 Avril 2024 14:48 )