Saison 01 - Livraison 01


LE JOUR DE MA NAISSANCE...

" Le jour de ma naissance, un 1er janvier 1951, l’Armistice a été signé depuis 1957 jours. Avant-goût de l’hiver qui fera connaître au pays la figure de l’Abbé Pierre, un vent glacé mord la chair et les os des centaines de milliers d’ouvriers qui se démènent jour et nuit pour relever le pays de ses ruines.

Le monde pleure encore ses morts, les cimetières sont fleuris et le moral est au beau fixe, il y a du boulot et, comme on dit à l’époque : quand le bâtiment va tout va.

On fait France de tout bois. Des couples se forment par milliers et mettent au monde les enfants de la paix revenue : des Franco-Français, des Franco-Italiens, des Franco-Polonais, des Algériens encore français : ce qu’on appellera le baby-boom.

L’année de ma naissance, le réveillon tombe un dimanche soir.

Le dimanche, dans l’immédiat après-guerre, c’est le seul jour de repos de la semaine, le jour du Seigneur pour les croyants, le jour où les hommes abandonnent le bleu de chauffe pour se mettre sur leur 31, comme on dit à l’époque.

Dans cette société « genrée », le dimanche et les jours de fête, les grands-mères, les belles-mères, les sœurs, les épouses et les grandes filles préparent le déjeuner mais ce sont les hommes qui prennent leur rejeton mâle par la main et vont faire les courses, chercher du vin, acheter des gâteaux. Puis on fait un tour au PMU pour l’apéro entre copains de chantiers.

 

Les moins de 50 ans auront du mal à le croire mais c’est le gigot flageolet et le poulet roti qui tiennent la corde — que celui qui n’a pas salivé en voyant ces orgies de lingots roux tournant sur eux mêmes à la broche me jettent la première pierre. Quelle joie de lécher les vitrines des boucheries, des charcuteries, des pâtisseries après des années de terreur et de privations, qu’ils étaient beaux les sourires sur les visages à l’idée de déguster des fraises à la crème ou du pain perdu quand on n’avait pas encore les moyens mais de l’espoir, beaucoup d’espoir.

Certains naissent dans une famille de notaires ou de musiciens, de militaires ou de commerçants, je suis né dans un monde ouvrier qui adorait le sport, seul loisir praticable quand on n’avait pas le sou. Un vieux ballon acheté à plusieurs, une inscription au club FSGT du coin, un vélo bricolé à la maison, et le cocktail imagination-camaraderie faisait le reste.

Mon père jouait à l'E.S. Nanterre et au Vésinet...mon oncle, son copain de communale, était gardien de but.

Le 31 décembre 1950 au soir, les grands-mères exceptées, tout le monde joue aux petits chevaux au 157 rue Philippe-Triaire à Nanterre. Mon oncle, son frère, ma tante, une cousine d’Italie, mon père et ma mère font rouler leurs dés autour d’un grand tapis vert. Chacun d’entre eux a donné un nom à son cheval de plomb, on tire des cartes de bonus ou de malus, on peste quand on tombe sur un as, on essaie d’avoir le tiercé dans l’ordre.

A ce jeu qu’on joue les jours de fêtes, ma mère a la poisse. Elle a baptisé son cheval de plomb Bride-Abattue mais à en croire les courses passées, c’est un vrai toquard. Ce dimanche soir là, allez savoir pourquoi — sans doute les étoiles dans le ciel — Bride Abbatue collectionne les double 6 et file seul en vue de la ligne d’arrivée... Quand - coup de théâtre - arrivent les premières contractions ! C’est un peu la panique en cette époque où peu de Français moyens ont un véhicule Heureusement mon tonton est là avec sa Simca et les Morisi se retrouvent à l’hôpital militaire de Neuilly. Résultats des opérations, Maman ne jouerait plus jamais aux petits-chevaux, ayant fort à faire avec son fils unique, et Bride-Abattue en mourrait de chagrin.

Les mamans ont des théories, la mienne, comme tant d’autres dans le vaste monde, le répètera à toutes les fêtes de famille : si l’on en croyait les coups de pied que je lui avais donné quand j’étais dans son ventre, je serai un grand footballeur.

Il est fréquent d’entendre dire que le football est une affaire d’hommes. Dans l’immédiat après-guerre il y a des exceptions.. Veuves de guerre, la mère de ma mère et sa grand mère font de la couture à la maison pour des tailleurs parisiens. Le dé à coudre au doigt, la craie de traçage à portée de la main, les lunettes qui glissent le long du nez, c’est la TSF qui leur tient compagnie. Une TSF dont l’importance avait été sacralisée par Radio Londres. Ecouter la radio dans l’après-guerre, c’était débarrasser la table, faire la vaisselle et se réunir autour du « poste ».

C’est la radio qui a permis au football, au vélo, à la boxe de conquérir les cœurs des Français et de leurs voisins. Un des pionniers de la radio s’appelait Georges Briquet, un homme qui avait refusé de travailler pour Radio Paris alors contrôlée par les Allemands. Expédié à Dachau où il se retrouve au Block 13, ces compagnons d’infortunes, voyant qu’il entre en dépression, bricolent un micro postiche et lui demande de commenter des étapes imaginaires du tour de France...

Mis à jour ( Mardi, 16 Avril 2024 15:01 )