LES CHRONIQUES SEPTUAGÉNAIRES - L - 54
1980 – Mario Polo et l'ex-capitaine aux yeux bleus s'essaient à la vie sédentaire au 14 de la route de Dole à Sampans. Ils sont inscrits aux ASSEDIC, elle s'occupe de son ménage, il écrit et il joue au foot ; ils suivent des cours de tennis, pendant que la plupart de leurs amis convolent, repeuplent et mènent la vie de jardin.
En attendant, le mentor de Mario (Henry Miller) et un de ses héros (Lennon) prennent un aller simple dans la navette qui part on ne sait où...
À notre retour d'Algérie nous avions des économies, la moitié de nos émoluments nous étant virés par voie bancaire. Ce matelas de secours et le refus de mon père de nous faire payer un loyer nous permettent de jouir du temps qui passe avec une relative prudence.
En ce sens nous nous plions au mode de vie que la plupart de nos amis ont adoptés. Didier et Marie Rose se sont installés au nord-est, Gillou et Francine sont revenus de Paris, Joël Max administre un centre d'hébergement pour étrangers à Strasbourg puis à Dijon. Une partie du quatuor de Molinges est resté dans la région de Sant-Claude dans le Jura, l'autre vit à Besançon et à Belfort. - Christian B., mon binôme en zone polaire, s'est installé dans le Haut-Doubs. Christian A., le "My Sweet Lord" de la pierre penchée, après avoir été infirmier psy, bucheronne dans le Jura. Étienne Max, ayant eu maille à partir avec la maréchaussée, laisse de côté son avis que "la sécurité sociale ôte à la misère sa dignité" pour devenir plombier au noir. Quant à Jean-Paul, Josette, Marie et Samuel, ils resteraient algériens pendant dix ans. Féfé de la Cure est entré au Syndicat du Livre à Paris ; il est correcteur de presse.
Du côté du bar de l'U, il y a eu une coupe claire, pas mal de disparitions, d'overdoses, plus simplement de réorientations, les "changeurs de monde" devenant profs, éducateurs, artisans ou guichetiers.
Nous recevons pas mal dans la grande pièce où mon père avait eu tant de peine à installer une cheminée « qui ne fume plus ». Situé le long de la R.N.5, notre 150 mètres carrés sur deux étages aimante le passage.
Mes parents sont classieux, ils ne viennent jamais nous voir quand on ne les y a pas invités. Ma mère et Marie s'entendent bien, mon père s'inquiète quand nos soirées s'éternisent et qu'il entend des bruits de galopade dans l'escalier qui jouxte sa chambre.Il y a toujours mon Ombilic de la Balle. J'ai pris une licence à Dole et je m'entraîne deux fois par semaine.
Avant de devenir éducateur-stagiaire pour la Providence à 70 km de là, je revois Jean-Luc et Roger, mes compères de l'équipe de la fac devenus "conseillers techniques départementaux" et j'apprends que je peux postuler au Diplôme d’État d'Éducateur sportif du 1er degré, qui autorise à toucher un salaire pour entraîner jusqu'en D-3. Irréfléchi comme je suis, je me dis que cela nous permettra de mettre du beurre dans nos épinards, et de répondre aux annonces qui proviennent d'Amérique où le "soccer" se développe. Marie me fait les gros yeux : elle se voit mal hiberner au Québec ; non, ce qu'elle aimerait, c'est que nous reparlions enfant(s).
Je me trompe peut-être d'année mais il me semble que je trouve un job de correcteur chez un imprimeur à Dole et que la mère d’Étienne Max, qui travaille aux ASSEDIC, cherche des remplacements à Meriem. Qui se retrouve dans le bureau du maire Santa Cruz, un coureur de jupons patenté.
Lorsque l'été arrive, après une quinzaine de jours passées dans les Pouilles avec Jean-Paul, Josette, leurs enfants et les sœurs de Marie, nous décidons de suivre un stage de planche à voile à la MJC du Loutelet, une extension de la MJC de Palente. Christian B, et ses collègues nous prennent en main et quand le vent souffle trop, nous jouons au tennis.
C'est le long du lac de Malbuisson que je fais la connaissance de ce "Bouglione", le président d'une association qui opère dans le secteur de l'enfance malheureuse.
J'ai un doute quant à la succession des faits, mais j'ai en tête les séjours que je fais au château de Mirande (le même qu'en 1968 avec la sélection de Franche-Comté des moins de 17 ans). C'est du sérieux, nous sommes une trentaine à aspirer au DEES du premier degré, parmi nous les stars du FC Sochaux qui vont enchanter la France en arrivant en demi-finale de la Coupe de l'UEFA.
J'écris beaucoup, de plus en plus. Je me perds dans mes projets, j'ai une idée nouvelle par jour. J’ai horreur de lire ce que j’ai écrit : ça ne vaut pas tripette. M'identifiant à Henry Miller quand il quitte la Western Union pour écrire son « Cauchemar Climatisé », je suis confus et lunatique.
C'est à partir de septembre 1980 que j'ai l'idée de "la Traversée des Mariemontagnes", une odyssée au pays de la Carte du Tendre revue et corrigée.
Elle et Moi, sans nous en rendre compte, vivons dans les mêmes lieux mais en parallèle, installés dans des contrées mentales fort éloignées les unes des autres.
C'est au pied du mur que l'on juge le fils du monteur calorifugeur. Marie va avoir 28 ans le 21 septembre, je vais en avoir 30. Elle me met le marché en main : est-ce que je veux être papa ou non ?
La réponse reste bloquée dans ma tête. Je ferai n'importe quoi pour que le capitaine aux yeux bleus soit heureuse mais faire un enfant, en être responsable, glisser dans le destin commun des devoirs et des obligations….
Et puis, ce sont des livres que je veux engendrer ; il y a de la place : Sartre, Miller, Genevoix, Gary viennent de rendre leur tablier.
J'ai honte de ce qui se passe pendant une quinzaine de jours alors que j'ai commencé à travailler au CEP des Chennevières. Après avoir potassé une série de manuels permettant d'optimiser les chances de procréer, j'accepte que nous tentions le coup et voilà ma moitié les pieds au ciel après nos tentatives : «ridiculum vitae », chantera Vincent de Chassey, un barde de mes amis aux Abbesses…
Un sentiment de honte m'empêche de poursuivre.
Nos consœurs les femmes ont de l'intuition, l'idée de faire un gosse me révulse et je bénis le grand Quiconque (l'expression est de Miller) de ne pas avoir exaucé le vœu du capitaine. J'aurai une fille, une seule et nous ailions faire connaissance dix ans plus tard à Marseille. Laura bella : si tu savais combien je t’aime…
(A suivre)
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