1978 – Une année étrangement contrastée pour Meriem et Mariou – les allées et venues en France, la montée des Frères musulmans, les tensions entre coopérants occidentaux et orientaux, l'installation de l'ami fraternel et de sa famille, tandis que la villa de la route de Touggourt ne désemplit pas...


Nous étions les seuls coopérants français sans voiture et cela était handicapant quand on pense qu'il y avait quatre kilomètres entre notre villa et la mairie, davantage encore si l'on voulait se rendre au cœur de la médina. Cela nous coûte de quitter notre havre de paix mais nous faisons un aller-retour à Dole le temps de saluer nos parents et d'acheter une R-6 qui va nous donner du souci du fil à retordre.

À notre retour, nous reprenons la routine mais quelque chose a changé au lycée où la tension monte entre les profs originaires d'Irak, de Syrie et d'Égypte ; suite à l'invasion du sud-Liban par l'armée israélienne et au comportement du raïs Anouar-as-Sadate qui, las de voir son pays payer seul le tribut de la guerre contre I'Etat juif, s'est rendu à Jérusalem et négocie un accord de paix avec Menahem Begin.

C'est le tollé dans les pays arabes, y compris en Algérie. Au lieu de calmer les esprits, certains enseignants du lycée prônent la violence devant leurs élèves qui sont aussi les nôtres, au point que je dois m'exprimer en classe : en tant que citoyen du monde, je ne supporte pas que des adultes, depuis Jérusalem, Paris ou El Oued, appellent à la haine alors que les jeunes gens auxquels ils s'adressent se ressemblent comme deux gouttes d'eau, étant les uns et les autres des fils d'Abraham. Curiosité, j'y ai mis tant de ferveur que le meneur des arabisants en burnous s’approche de moi, me parle de 'colère sainte' et me prie de réciter le "chedded Allah" qui peut sauver les impies de l'Enfer.

Sillonnant l'oasis à bord de notre R-6 brinquebalante (sans l'ami garagiste de Majid, on aurait perdu le moteur), Biquette et moi renouons avec nos activités : le capitaine et ses cavalcades dans le désert, moi entre les bars à bière et les terrains de football.

La fin de notre première année scolaire arrive et nous rentrons en Franche-Comté où nos parents nous font la fête. Meriem a été adoptée par ma mère, je fais de mon mieux pour amadouer Pierre, mon beau-papa, qui me trouve bonnard et m'entraîne dans ses expéditions de quilles et les fêtes patronales. La maman est quant à elle rassurée, j'ai pris soin de sa fille que je n'ai pas vendu à un trafiquant de femmes à Tanger ou à Marseille. La grand-mère m'adore, je vais soigner les poules avec elle quand je ne joue pas au foot avec son petit-fils Patrice, qui me confond avec Mario Kempès, la star argentine qui s'apprête à remporter la coupe du monde 78 organisée par la dictature militaire de Videla.

La suite va vous étonner. Sans doute vous rappelez-vous le quatuor des filles de Molinges, qui avait pris soin de mon instruction sexuelle (Joëlle, Marie Christine, Isa...) Eh bien Evelyne, la quatrième mousquetaire, me demande si le capitaine et moi nous sentons de tenir leur hôtel-snack-bar pendant qu’elle et son chéri se reposent de 4 années de soucis en Afrique. Ca ne sera pas dur, sa maman nous aidera.

Incroyable mais vrai, le capitaine et son mec se retrouvent tenanciers en face de la gare de Belfort, et ce pendant deux mois.. Elle était pas belle la vie ?

Mon père a longtemps regretté de ne pas m'avoir appelé Modeste, mais je voud le donne en mille le couple de choc que nous constituons. au prix de journées de 18/20 heures, assure l’occupation et l'entretien de la douzaine de chambres de l'hôtel, fait tourner le snack, n'a aucun problème avec la clientèle tardive du bar, grâce à Lui qui amorce la pompe des tournées de bière de luxe avec les chauffeurs de taxi et une communauté de Serbo-Croates à qui il parle de Skoblar, Galic, Jusufi et Sekularac, les stars du foot yougoslave des années 60. Bref, nos amis, à leur retour, ayant bouclé les comptes, nous attribuent une prime exceptionnelle qui rassure nos conseillers bancaires.

La rentrée 1978/79 n'est pas banale pour la bonne raison nous avons convaincu Jean Paul, l'ami fraternel, de laisser tomber le notariat et de venir nous rejoindre dans le désert. Consternation de la Maman, qui avait eu du mal à accepter Josette, une gauchiste, et qui avait en tête les horreurs de la guerre d'Algérie et ces infidèles en turban qui priaient le mauvais Dieu.

Plus de pondération chez le Papa, un chef d'entreprise charismatique pour qui les enfants mâles devaient faire leurs leurs preuves et qui avait commandé un bataillon de Spahis, je crois.

Jean Paul et Josette n'arrivent pas seuls, ils ont avec eux Marie et Samuel, leur dernier-né.

De septembre à janvier nous habitons ensemble et il y a des matelas partout : dans le salon, dans la chambre bureau, dans note chambre et dans la courette en sable de derrière.

Ca n'est pas terrible pour l'intimité mais on rigole beaucoup et Jean Paul a l'occasion de rencontrer Majid, les buveurs de bière du CRBEO et les visiteurs français, susses, colombiens qui défilent et profitent des largesses de ce couple de félés qui passe son temps à organiser des noubas..

La deuxième saison du CRBEO commence sous le signe du sérieux. Ammar, le directeur sportif, par ailleurs officier de police, veut à tout prix que nous montions en Division 3. Cheikh Samir est contesté, une affaire de primes accordées en cachette, Les anciens menacent de faire grêve, Majid démissionne.

Jean-Paul se joint à l'équipe mais après une entrée en matière fulgurante (3 buts sur les 4 qu’on marque en amical) il est rappelé à l'ordre par son capitain aux yeux bleus à lui, qui n'a pas l'intention de s'occuper de Marie et de Samuel pendant qu'icelui court le désert après un ballon.

Politiquement, la situation s'envenime. L'invasion du Sud-Liban par Tsahal rend la cohabitation difficile entre les tenants de la destruction d'Israël et ceux qui n'en peuvent plus d'une guerre israélo-arabe qui menace d'être perpétuelle. Cette effervescence permet aux leaders locaux des Frères Musulmans : des salafistes qui prônent la substitution de la constitution algérienne par la Chariah - de miner les esprits et d'installer leurs mosquées officieuses dans les quartiers, y compris 150 mètres derrière chez nous. Ce qui passe mal avec les traditionalistes des Zaouïas, ces monastères locaux, dont les Oulémas n'acceptent pas que des impies qui avaient passé leur jeunesse à des activités impures : alcool, adultère, sodomie, trafics divers, drogue, corruption, leur donnent des leçons de conduite et veuillent interpréter la Sunna et les Hadith à leur place.

Le Mariou que je suis ne comprend pas tout tout de suite. Il se saoule lui-même de son importance ; il explique tout à tout le monde et, dès que la maison se vide, joue les auteurs inspirés par qui, allez savoir ? puisqu'il panache l'étude des sourates courtes, les manuels traitant de l'implantation arabe dans le Maghreb, la lecture des poèmes du Persan Omar Al-Khayyam ou du soufi Abou Nouwas, avec 'Il Calcio Minuto per Minuto', l’émission de la Rai qui raconte le championnat d'Italie de football le dimanche après-midi.

C'est une évidence avec le recul : les nuages s’amoncelaient et les rares oiseaux de l'oasis volaient de la gauche vers la droite. Dominique, une nouvelle arrivée, ne suit aucun conseil et laisse libre cours à ses théories sur l'amour libre, convolant avec un pharmacien algérois qui lui rend la vie impossible.

Un soir Majid nous invite Meriem et moi sur une terrasse où se ‘divertit’ la fine fleur des notables du lieu : un célèbre médecin, le commissaire principal, le pharmacien arrivé d'Alger et un homme d'affaires, tunisien peut-être. Majid voit le coup venir. Il recommande à Meriem de surveiller son verre et nous quittons la terrasse plus tôt que prévu.

Au rang des sales signes, la voisine de derrière, qui est devenue la copine du capitaine, appelle au secours, crie beaucoup. Nous allons voir ce qu'il se passe. Son mari qui la bat l'a menacée avec un couteau. Je vais voir le commissaire et je lui fais part de ce que j'ai vu. Il me regarde d'un drôle d'air et me félicite d'avoir réagi en honnête homme ; cela dit il est occupé.

Cette deuxième phase de notre installation en Terre d’Islam est riche, très riche. Meriem est initiée aux arcanes de la vie sensuelle de ses commères de hammam : on rigole bien quand les hommes sont à Hassi-Messaoud. Commodes, les gynécées "haram" aux hommes. Enfin pas à tous, ça bourrique dur quand le chat n'est plus là.

Dans la même veine, le petit prof aux sourcils noirs qui se rejoignent m'en raconte de belles. Il s'est trouvé une infirmière qui est magique du côté de sa porte étroite, seul moyen de ne pas tomber enceinte en s'éclatant, n'est-ce pas ?

Un après-midi où je n'ai pas cours, je fuis l'agitation de la route de Touggourt pour affiner ma compréhension des Frères de la Sagesse en sirotant une bière, quand je vois - ou crois voir - Farida la Bomba sortir d'une chambre qui donne sur la piscine de l'hôtel…

Dans ma rêverie elle tangue et m'entraîne dans une chambre. Me faisant tourner comme on fait tourner un mannequin sur un socle pivotant, elle la fixe, la fait grossir, la rend énorme. L’humecte, la pétrit et l'avale de nombreuses façons, avant de me pousser défait dans le couloir où elle me maudit car jamais plus ne serai homme sans sa permission ; cela que mes putains le sachent...

Comme je délire en plein soleil, je lâche les Frères et je vais prendre une douche glacée.

(A suivre)